ƒƒ article de Dominika Waszkiewicz
© Alain Fonteray
Sur le petit plateau du 77 rue de Charonne, un rectangle noir cerné de blanc, un écran, des néons, un micro, une caméra. L’espace est créé. Un espace complexe dont les mises en abymes sont annoncées par les projections à venir. Un espace qui tient à la fois de la mise à distance et de la confrontation intimiste. Un espace, enfin, hautement théâtral, entre scène et hors-scène, dans lequel l’œil du spectateur s’immisce avec une aisance jouissive, teintée d’un brin de voyeurisme. C’est la chambre du fils. Obscur naos au cœur de la maison. Ring sur lequel vont s’affronter les personnages. Saint des saints de la tragédie familiale qui va se jouer. Patricia s’installe chez André, CRS retraité vivant avec son fils. Patricia s’installe chez André et le fils est là. Il regarde. Il regarde et, petit à petit, presque imperceptiblement, la réalité se déforme et se transforme sous son regard, imbriquant des images kaléidoscopiques d’extraits filmiques.
« Le lotissement, c’est la sensation d’un espace blanc. Une étendue : des rectangles, des carrés, des figures qui, alignés, seraient ce lotissement. Un ensemble de maisons dans lesquelles se joue l’intime. »
Tommy Milliot et sa toute jeune compagnie Man Haast s’emparent du texte de Frédéric Vossier avec vigueur et cohérence. Entre les trois solitudes en friction, la tension s’installe et s’aiguise des non-dits et des incompréhensions. Eternels dialogues de sourds, rites de passage court-circuités par une présence paternelle envahissante, claustrophobie estivale et générationnelle, parole muette. Le tout enrubanné dans le voile opaque du lotissement. Uniformément blanc. On pourrait croire que tout y est rigoureusement lisse, obéissant à des règles immuables assurant la pérennité de l’homme. Mais la pièce fait voler en éclats toute tentative d’ordonner le chaos du monde et les principes hiérarchiques s’effacent face à la figure pétrifiante de Méduse. La linéarité rassurante se fissure, ouvre la brèche au doute et au double sens.
« J’ai souhaité créer des silhouettes hiératiques d’où naissent les mots… »
Alors, on s’accroche aux personnages, vibrant d’une justesse crue et pudique. Le père (interprété par le remarquable Miglen Mirtchev), surtout, est désarmant dans son refus de vieillir, de laisser la place. Oscillant entre la familière humanité d’un corps réellement présent et l’entêtement presque puéril de son refus d’affronter la réalité, il nous livre une partition solidement subtile, avec ses contradictions et ses histoires en filigrane.
Matériau dense et protéiforme, ce spectacle ne peut que continuer à enthousiasmer, encore et encore, à chacune de ses métamorphoses.
Lotissement
Texte: Frédéric Vossier
Mise en scène, scénographie, lumière: Tommy Milliot
Dramaturgie et voix: Sarah Cillaire
Images vidéo: Vlad Chirita
Régie Générale: James Groguelin
Régie son et vidéo: Gaëlle Hispard
Avec Eye Haidara, Miglen Mirtchev, Isaïe SultanLotissement de Frédéric Vossier est édité aux éditions Quartett, janvier 2011.
Production MAN HAAST Avec le soutien du CENTQUATRE-PARIS Un Projet initié par Hubert Colas pour une première mise en espace dans le cadre du Festival Actoral 14 en partenariat avec le CNT
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