Critiques // L’opposition Mitterrand vs Rocard, de Georges Naudy, mise en scène d’Éric Civanyan, au Théâtre de l’Atelier

L’opposition Mitterrand vs Rocard, de Georges Naudy, mise en scène d’Éric Civanyan, au Théâtre de l’Atelier

Jan 16, 2020 | Commentaires fermés sur L’opposition Mitterrand vs Rocard, de Georges Naudy, mise en scène d’Éric Civanyan, au Théâtre de l’Atelier

 

 

© Maria Letizia Piantoni

 

ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

On est en 1980, dans l’appartement rue de Bièvre de François Mitterrand qui est alors premier secrétaire du Parti socialiste. Le candidat de ce parti à l’élection présidentielle de l’année suivante n’a pas encore été désigné. Michel Rocard s’est déjà entouré d’une équipe de soutien et ne cache pas son ambition et François Mitterrand qui a déjà été candidat deux fois (1965 et 1974) n’entend pas laisser la place à « quelqu’un qui se fait souvent remarquer mais n’est pas remarquable ». En dépit du fait que le spectateur connaisse de fait la fin, le suspens naît de l’agencement des dialogues et des rapports de force entre les deux hommes. Tous les mots prononcés l’auraient véritablement été, mais dans des temps et des supports divers.

La confrontation n’a rien de bienveillante à la différence d’autres duos politiques présentés récemment sur les plateaux de théâtre, comme Le crépuscule de Lionel Courtot  adaptant Les Chênes qu’on abat de Malraux mettant en scène sa dernière conversation avec De Gaulle retiré à Colombey (joué au off d’Avignon 2019) ou encore L’un de nous d’eux de Jean-Noël Jeanneney faisant dialoguer Léon Blum et Georges Mandel à Buchenwald (au théâtre du Petit Montparnasse en novembre 2019). Dans L’opposition, on assiste dès la deuxième minute à un duel entre deux concurrents, à l’éducation, la culture, l’âge, le rapport à la politique et au socialisme qui n’ont rien en commun.

Si comme dans les deux pièces précitées, le metteur en scène et le scénographe n’ont pas opté pour l’originalité et adopté tous les codes classiques du décor intérieur d’un homme politique lettré (bureau en bois, immense bibliothèque qui monte presque jusqu’aux cintres et pleinement éclairée, chaises vintage et grand fauteuil design de lecture), la force de la pièce réside dans le texte qui rebondit sans cesse. Le montage de Georges Naudy est bluffant : un florilège de réparties cinglantes, parfois cruelles, toujours extrêmement drôles dans un duel où il n’y a pas d’égalité des armes. D’un côté, un homme d’expérience, féru de lettres et d’histoire, pouvant citer aussi bien Lamartine que Spinoza, tenant les rennes du parti qu’il a créé et se drapant du devoir « d’assurer l’unité » du parti pour mieux dissuader un concurrent potentiel. De l’autre, un homme « pas si jeune » que cela, aux idées réformistes, notamment en économie, pragmatique, mais peu sûr de lui et qui pour se défendre des attaques et du mépris de Mitterrand l’affronte, lui fait son « procès », y compris sur les aspects les moins transparents de sa vie (Résistance, Vichy, Algérie…). Le dialogue est évidemment fictif et Rocard n’aurait sans doute jamais osé formuler certaines de ses réparties directement à Mitterrand.

En cette soirée de création et de vraie première comme le metteur en scène l’a indiqué avant qu’elle ne commence, les comédiens étaient déjà bien rodés. Ni Philippe Magnan (Mitterrand), ni Cyrille Eldin (Rocard) ne jouent en imitant, encore moins singeant leurs « modèles ». On retrouve bien quelques tonalités du ton rocailleux de Rocard dans le jeu de Cyrille Eldin et dans sa façon de se déplacer et sa gestuelle un peu nerveuses, mais très peu de traits caractéristiques de Mitterrand, à la fois un peu débonnaire et au débit peut-être trop rapide. Il est pour autant extrêmement convaincant.

Juste avant le couplet (« Regarde, quelque chose a changé, l’air semble plus léger, c’est indéfinissable, un homme, une rose à la main, a ouvert le chemin vers le monde de demain ») que Barbara chantait dans les meetings de Mitterrand, la pièce s’achève sur une voix off qui n’est autre que celle du vrai Michel Rocard s’adressant au premier secrétaire lors du congrès socialiste d’avril 1979 qu’il ne sera pas candidat contre lui s’il est candidat aux prochaines élections présidentielles car en sa qualité « il est le premier d’entre nous qui aura à prendre sa décision personnelle sur le point de dire s’il est candidat ». C’est évidemment savoureux quand on sait ce que la pièce laisse entendre mais ne dit pas explicitement qu’il annoncera depuis sa mairie de Conflans-Sainte-Honorine sa candidature le 19 octobre 1980 et qu’il la retire après que Mitterrand se soit déclaré un mois plus tard et qu’un congrès extraordinaire ait entériné sa candidature le 24 janvier 1981…

 

© Maria Letizia Piantoni

 

L’opposition Mitterrand v Rocard, de Georges Naudy

Mise en scène

Éric Civanyan

Scénographie Édouard Laug

Assistante à la mise en scène Sylvie Paupardin

Costumes  Régine Marangé

Avec Philippe Magnan et Cyrille Eldin

 

 

Du 14 janvier au 22 mars 2020

A 21 h, du mardi au samedi, à 17 h le dimanche

 

Du 24 mars au 5 avril 2020

A 19 h, du mardi au samedi, à 17 h le dimanche

 

Durée 1 h 25

 

 

Théâtre de l’Atelier

1 Place Charles Dullin

75018 Paris

 

Réservation 01 46 06 49 24

www.theatre-atelier.com

 

 

 

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