Critique de Bruno Deslot –
Pas un sou de plus !
La Complainte de Mackie, Le Chant des canons, Barbara-Song, Jenny des corsaires… Que de “tubes” plusieurs fois repris, adaptés à toutes les modes jusqu’à en oublier le sens, celui de la pièce de Brecht, « L’Opéra de quat’sous », donnée au Français en ce moment dans une mise en scène de Laurent Pelly.
© Brigitte Enguerand
Un grand succès des années 1920, le Singspiel de Bertolt Brecht et Kurt Weil est une joyeuse satyre du monde capitaliste et bourgeois dont Laurent Pelly (metteur en scène et costumier) situe la contemporanéité du propos dans une Angleterre post-Thatcherienne. Accompagné de Michel Bataillon, Laurent Pelly « est revenu au plus près du rythme de la langue, et du sens ». Travaillant à partir de la magnifique traduction de l’œuvre de Brecht par Jean-Claude Hémery, Laurent Pelly navigue entre gravité et légèreté dans sa manière d’aborder « L’Opéra de quat’sous ». Le visage de Serge Bagdassarian apparaissant dès le début de la pièce dans un halo de lumière donne le ton au propos et semble le plonger dans l’obscurité mais la première piste est déjà faussée, l’ambiance générale galope vite vers des rythmes plus enjoués et enlevés. Le local de Jonathan Peachum (Bruno Raffaelli), conçu comme un centre social pour protestants évangélistes, offre des couleurs sombres, impersonnelles et dépassées, à l’image du “roi des mendiants” qui mène son commerce de moignons et autres pourritures de l’âme, tambour battant. « L’homme est un loup pour l’homme », Mackie Messer (Thierry Hancisse) connaît bien sa partition lorsqu’il épouse la délicieuse Polly Peachum, Léonie Simaga remarquable de justesse, dans son hangar de repris de justesse ! Les gangsters déboulent sur le plateau et sèment le désordre comme cette lourde machinerie qui sous prétexte de mettre la cage de théâtre à nue et de donner une note de réalisme à la proposition, ne sert que d’argument prétexte à une mise en scène proposant un univers policée, bourgeois et trop propre.
Les prostituées du bordel ressemblent à des affiches publicitaires pour des sous-vêtements haute-couture, les gangsters à des gravures de mode décoiffées par un courant d’air. Seul Filch (Christian Gonon), réussit à allier avec talent absurdité et gravité en interprétant un mendiant touchant de vérité. L’ensemble de la proposition demeure trop sage, esthétiquement convenue, le “british style” version kitch, si cher à Laurent Pelly a sa force mais aussi ses limites. Dès le début de la pièce, le Singspiel est mené de main de maître par Bruno Fontaine, brandissant sa baguette pour diriger son orchestre et accompagner musicalement, chansons, ballades, duos, récitatifs, mouvements de tango, fox-trot, etc… La force brechtienne semble bien réelle, d’autant que les acteurs-chanteurs excellent dans les parties musicales, mais très, voire trop rapidement, l’ensemble s’essouffle et l’on se demande si c’est bien à une pièce de Brecht à laquelle on assiste. La légèreté domine cruellement et malgré les interventions de Mme Peachum, l’excellente et “couillue” Véronique Vella, la scénographie “mille-feuilles”, élaborées par Laurent Pelly et Chantal Thomas devient indigeste.
L’esprit de troupe est cependant bien réel et si plaisant lors des temps chorals qu’il permet de se ménager quelques issues de secours.
L’Opéra de Quat’sous
De : Bertolt Brecht
Traduction : Jean-Claude Hémery
Musique : Kurt Weill
Basé sur la traduction par Elisabeth Hauptmann de L’Opéra des gueux de John Gay
Mise en scène et costumes : Laurent Pelly
Direction musicale : Bruno Fontaine
Collaboration artistique : Bruno Fontaine
Scénographie : Chantal Thomas
Lumières : Joël Adam
Avec : Véronique Vella, Thierry Hancisse, Sylvia Bergé, Bruno Raffaelli, Jérôme Pouly, Laurent Natrella, Christian Gonon, Léonie Simaga, Serge Bagdassarian, Marie-Sophie Ferdane, Stéphane Varupenne, Nâzim Boudjenah, Félicien Juttner, Pierre Niney, Jérémy Lopez et les élèves-comédiens de la Comédie-FrançaiseDu 2 avril au 19 juillet 2011
Comédie Française
Place Colette, 75 001 Paris
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