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L’Olimpiade d’Antonio Vivaldi, livret de Metastase, direction musicale de Jean-Christophe Spinosi, mise en scène d’Emmanuel Daumas, au Théâtre des Champs-Elysées

Juin 25, 2024 | Commentaires fermés sur L’Olimpiade d’Antonio Vivaldi, livret de Metastase, direction musicale de Jean-Christophe Spinosi, mise en scène d’Emmanuel Daumas, au Théâtre des Champs-Elysées

 

© Vincent Pontet

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Voilà une curiosité qu’on aurait tord de bouder. L’Olimpiade, livret de Metastase (Pietro Trapassi), écrit pour l’anniversaire de l’impératrice autrichienne Elizabeth Christine, épouse de Charles VI, a connu maint compositeur (60 !) avant que le prêtre roux, Vivaldi, ne s’en empare en 1734 avec succès, emportant la victoire devant ses adversaires. Malgré un livret abracadabrantesque méritant une palme pour sa complexité, histoire d’amour, de sport, de triche, de régicide et d’enfant caché – nous y reviendrons – c’est un véritable feu d’artifice tout feu tout flamme, une partition gonflée qui n’est pas de la gonflette, épreuve sportive pour ces interprètes, de véritables athlètes. La musique c’est du sport n’est pas ici qu’une simple métaphore pour le metteur en scène Emmanuel Daumas qui signe une mise en scène qui ne révolutionnera pas le genre mais permet à des chanteurs – pour les deux principaux rôles du moins, Licida et Mégacle – de faire preuve d’un certain talent acrobatique autant que vocal. Particulièrement le contre-ténor Jakub Józef Orlinski (Licida), silhouette élancée et sportive, véritable canon moulée dans une combinaison blanche de lutteur, capable de salto avant/arrière, de pratiquer le Break Danse (hors de toute discipline Olympique) sans cesser de chanter pour autant ni reprendre son souffle. Un art qui culmine dans l’air « Gemo in un punto » où la maîtrise de la danse, entre Break et Butô, alliée au chant impressionne et embarque la salle. Marina Viotti (Mégacle) s’en donne également à cœur joie, travestie choc en bodybuilder, clone de Sylvester Stallone période Rambo, corps et voix musclée pour une interprétation gender fluide d’anthologie. L’histoire de ces deux amis, relation virile d’une grande ambiguïté, bourrée autant de testostérone que de sensualité, dont l’un (Mégacle) accepte de tricher aux jeux pour aider son ami (Licida) à conquérir la femme qu’il aime mise en jeu par le roi Clistene, femme qui n’est autre que la fiancée de son ami Mégacle, Aristea, laquelle pensant Mégacle vainqueur tombe des nues en découvrant Licida qu’elle n’attendait pas comme époux. Mégacle découvrant trop tard la mise en jeu mais fidèle à sa promesse et à son amitié envers Licida gagne les jeux et décide après s’être expliqué avec Aristea de se jeter dans le fleuve. Alors que rage dans les bois où elle s’est réfugiée Argene la fiancée légitime et délaissée de Licida et que veille au grain Aminta, le précepteur de Licida qui pressent que tout ça ne va pas forcement bien finir. Stoppons là, même si les péripéties et les quiproquos s’enchaînent jusqu’à la fin. Mais tout est bien qui finira bien, les dieux du stade sont toujours conciliants avec nos héros.

Devant un tel livret capricieux et caracolant où le chant contamine et paralyse l’action, un seul duo, peu d’ensemble et des arias en veux-tu en voilà, la tâche est ardue et Emmanuel Daumas semble embarrassé devant les travaux à accomplir, ne sachant pas vraiment quelle parti prendre. Entre la farce, la comédie ou la tragédie, il hésite, va et vient d’un registre l’autre, laissant une impression de flou, de vague, sans vraiment de ligne de force ni de parti-pris, au risque du contresens parfois, du flop, oublieux du fond, cet opéra derrière ce livret singulier délabyrinthe la complexité des passions humaines, pour une forme qui nous et lui échappe.

Les chanteurs tiennent heureusement la corde, surmontent et franchissent l’obstacle de cette mise en scène dans ce gymnase où s’ébattent et s’entraînent nos compétiteurs, car la vraie compétition, sans concurrence, reste le chant et la partition enlevée de Vivaldi qui oblitèrent la mise en scène pour gagner toute la place.

Jakub Józef Orlinski fait le show, qui s’en plaindrait, qui chante tout en défiant la gravité, sans nul effort apparent. La virtuosité chez lui n’est pas que dans la pyrotechnie vocale mais aussi dans un art de la nuance, de l’équilibre entre la démonstration et l’émotion. Même juché sur un cheval d’arçon, rien ne le désarçonne. Mais s’il y a une médaille à donner et des lauriers c’est bien à Marina Viotti. Artiste lyrique protéiforme, elle fut Carmen, Cendrillon et La Périchole, et la voilà en Mégacle, jouant d’une (sur)virilité composée avec bonheur et beaucoup d’humour mais ce qu’elle offre aussi à son personnage, une remarquable ambivalence, c’est une féminité et le trouble qui l’accompagne dans sa relation avec Licida. Personnage gender fluide propre au baroque, elle module sa voix de mezzo au grès des émotions et des tempêtes intimes qui secouent ce personnage délicat plus complexe que ce à quoi la mise en scène tente de le réduire et à laquelle elle résiste et triomphe vaillamment. Capable de viriliser sa voix comme de la détimbrer, dans la scène de la noyade par exemple, comme d’atteindre une suavité, une sensualité pour aussitôt vocaliser avec éclat, entrer en fusion. La mezzo-soprano Catarina Piva, Aristea, fait montre elle aussi d’un vrai tempérament qui éclate particulièrement, mais pas seulement, dans l’air dit « de la tourterelle « (« sta piangendo la tortorella ») où accompagné d’un voltigeur sanglé, elle bouleverse véritablement par l’émotion apportée. Petite déception que l’Argene de Delphine Galou comme extérieur à son personnage et surtout, une projection difficile qui parfois la rendait à la limite de l’audible, contrastant avec ses consœurs. Ana Maria Labin, Aminta, ne fait qu’une bouchée des arias difficultueuses, heureux parcours d’obstacles qu’elle franchit sans difficulté, la voix assurée. Luigi De Donato campe un roi Clistene en tablier de boucher proche du bouffe mais évite le piège de la caricature. Enfin Christian Senn, Alcandro, comme Luigi Di Donato s’approche dangereusement au bord du bouffe mais son aria accompagné d’un seul violoncelle, ne le réduit pas par ce lamento soudain (« sciagurato in braccio a morte ») à n’être qu’un outsider dans cette production. Jean-Christophe Spinosi qui connaît son Vivaldi jusqu’au bout de sa baguette conduit l’ensemble Matheus avec un art de la rupture consommée, parfois surprenante, jusqu’à prendre certaine liberté « théâtrale » sans que cela parasite l’ensemble. Ca chauffe dans la fosse et sur le plateau, qui n’empêche nullement un délicat nuancier dramatique et musical où l’émotion surgit au détour d’une partition jouant de contrastes abrupts et inattendus. S’il y a une compétition à laquelle on peut aspirer, sans contrainte de transports, sans contrainte d’un QR code, c’est bien à celle-là. Du bonheur pur.

 

© Vincent Pontet

 

L’Olimpiade d’Antonio Vivaldi

Livret de Metastase

Direction musicale : Jean-Christophe Spinosi

Mise en scène : Emmanuel Daumas

Chorégraphie : Raphaëlle Delauney

Scénographie : Alban Ho Van

Costumes : Marie La Rocca

Perruques, maquillages, masques : Cécile Kretschmar

Lumières : Bruno Marsol

 

Avec : Jakub Józef Orlinski, Marina Viotti, Caterina Piva, Delphine Galou, Ana Maria Labin, Luigi De Donato, Christian Senn

Ensemble Matheus

Chœur de l’Académie Haendel Hendrix

Acrobate : Quentin Signori

Danseurs : Bryan Doisy, Kerem Gelebek, Giacomo Luci, Allister Madin, Paul Vezin

 

Jusqu’au 29 Juin 2024 à 19h30

Durée 1h30

 

Théâtre des Champs-Elysées

15 avenue Montaigne

75008 Paris

 

Réservations : www.theatrechampselysees.com

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