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Locus Focus, Min Tanaka, Camping au C.N.D, Jardin de la Banque de France à Pantin

Juil 04, 2016 | Commentaires fermés sur Locus Focus, Min Tanaka, Camping au C.N.D, Jardin de la Banque de France à Pantin

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

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© DR

Emergeant lentement d’un carton, nouveau Diogène ou clochard céleste, entoilé de noir, cheveux herbus, montre en sautoir sur le front, bientôt quasi nu, c’est un kami bienveillant, gardien provisoire de ce jardin en friche. Corps de vieillard au visage d’enfant naïf, dans sa plus belle acceptation, regard étonné sur le monde. Voûté, arcbouté, les pieds nus plantés résolument dans la terre. Les mains volettent, battement d’ailes de papillon, celui-là même qui impromptu un temps l‘accompagne. C’est un jardinier-poète, un épouvantail fragile. C’est un danseur ivre de vie et de liberté absolue. Dans ce terrain vaguement vague, portant mémoire d’un jardin, dont il prend possession avec douceur, il épouse la nature, avec délicatesse, dans une symbiose parfaite pour ne faire plus qu’un avec elle. Un équilibre miraculeux, bouleversant. Il devient l’arbre étreint, l’herbe foulée, les rosiers traversés, les épines qui lacèrent, la pluie qui cingle et le vent qui se lève. Parfois soustrait à notre regard, facétieux, caché dans les frondaisons, sa présence irradie les lieux, hante de ses traces fugaces ce jardin abandonné qui tout à l’heure était traversé de ce corps d’enfant-vieillard en constante métamorphose, au gré des flux imperceptibles, des vagues mystérieuses de lui seul connues qui le bousculent, le portent. Ivresse d’un corps possédé, un corps « sismographe » dont le tremblé tendu, le tracé fragile devient une carte mentale, spirituelle d’un environnement et d’un temps, d’un espace exploré jusque dans ses infimes et intimes variations. C’est un corps présent au monde, perméable, qui n’exprime rien d’autre que cette présence, cette attention méditative à l’environnement exploré comme à tâtons, de tout son corps. Un corps medium. Un corps paysage.

Min Tanaka était à Paris, une poignée de jours, à l’invitation du CND. Danseur butô, dont il réfute le terme désormais, formé auprès d’Hijikata -le fondateur de cette danse – Min Tanaka poursuit un chemin original. Débarrassé des clichés butoïstes qui pullulent et créent le malentendu jusqu’à épuiser cette danse de son essence, sans en renier les fondamentaux – particulièrement son rapport à la terre et l’engagement extrême du corps – ce danseur-paysan cherche l’origine de la danse, sa source vive. C’est dans l’environnement, hors des studios et de la scène, qu’il puise l’énergie de la danse. Une danse de vie qui échappe sciemment à toute narration. C’est un corps sensible, extra-lucide, traversé par l’espace et le temps, irrigué des lieux choisis ou non dans lesquels il se fond dans une même pulsation, un même rythme. Ainsi Locus Focus n’existe que dans son immédiateté, son éphémérité. Œuvre fragile qui n’existe pas ou du moins qui ne peut exister que dans la confrontation, la rencontre ténue, l’écoute absolue et concentrée entre le corps du danseur, le paysage, jamais le même, et le temps, toujours en fuite. C’est dans cette jonction formidable et délicate que jaillit la danse de Min Tanaka, que le corps du danseur se métamorphose, se déploie. Formidable et totale liberté. Min Tanaka est un danseur libre, pleinement. Sans doute le plus contemporain de tous par cette liberté même, ce refus d’un langage voué à s’éteindre, comme, dit-il, le butô s’est éteint avec son créateur. Une danse immarcescible et sans emprise autre que ces lieux traversés, qui meurt ici pour renaître là, différemment. Instant foudroyant, comme un manifeste facétieux, quand soudain sur la musique de Freedom une danse affranchie de toute convention s’invente sous nos yeux. C’est un enfant-vieillard sur lequel il n’y a plus d’emprise, sur lequel le temps glisse, et qui s’offre, corps arc-bouté et bras au ciel à l’universel. Une joie de vivre qui illumine ce triste jardin humide et soudain c’est toute la beauté de ce lieu qui nous est révélé. Ce qu’il renferme de vie entre ses herbes folles et ses rosiers rabougris et penchés. Non ce n’est pas du butô, c’est tout simplement la vie. Tout simplement la Danse.

Locus Focus
Conception et interprétation Min Tanaka
Maison de la Culture du Japon à Paris le 24 juin
Jardin de la banque de France à Pantin le 29 juin

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