Critiques // « Littoral » de Wajdi Mouawad à Chaillot (Trilogie)

« Littoral » de Wajdi Mouawad à Chaillot (Trilogie)

Sep 10, 2010 | 2 commentaires sur « Littoral » de Wajdi Mouawad à Chaillot (Trilogie)

Critique de Dashiell Donello

A l’apparition de la lumière, un mur longitudinal expose des corps englués et convulsifs qui frissonnent sur ce qui aurait pu être un papier tue-mouches.

Cela nous rappelle les fresques d’un cauchemar emmuré, et la folie des hommes. Est-ce un mur de peloton d’exécution, de lamentation, un garde-fou poétique ? Ou bien un parapet d’écriture où des augures, bons ou mauvais, communiquent avec d’improbables dieux sur la naissance, en 1968, de Wadjdi Mouawad, contraint d’abandonner sa terre natale à l’âge de huit ans, pour cause de guerre civile ?

Est-ce le prélude d’une épopée contrariée ? Lorsque les corps se décollent de ce bas-relief animé, et que leurs empreintes laiteuses se révèlent sur la toile d’un instant ? Est-ce les vestiges d’un souvenir pris dans les filets de la tragédie ?

© Jean-Louis Fernandez

La vie rêve d’un rêve.

L’histoire : Wilfrid parle au juge… enfin il nous parle. Wilfrid fait l’amour. Il jouit de tout son être. C’était bon ! Le cul de sa partenaire l’avait mis au paroxysme de l’excitation. C’est vous dire le bon coup ! L’éjaculation se mue en sonnerie de téléphone. Fin du coït. Wilfrid apprend la mort de son père. Commence alors les pérégrinations pour  l’enterrer au pays natal. Le fils découvre son père à travers des lettres qu’il lui a écrites mais jamais envoyées. Le voyage lui en dit aussi beaucoup sur son identité, sur la vie et la mort et sur les hommes.

C’est l’histoire d’un mort qui parle d’un rêve.

Le premier récit de la trilogie de Wajdi Mouawad Littoral, pose des questions sur l’amour, la mort, la barbarie, le deuil et les conflits familiaux. La trop douloureuse vérité se camoufle dans la fantaisie et l’apparition de personnages fictifs, tel que le chevalier Guiromelan, inventé par Wilfrid enfant pour anéantir les monstres. Mais qui continue de le hanter jusqu’à l’âge adulte.

D’ailleurs Wilfrid, le personnage principal, véhicule lui-même  le comique de sa condition, par son ironie et le regard qu’il porte sur le film qu’on réalise sur lui. Ses souvenirs d’enfance rejouent le drame de l’exil dans une cour de récréation. Le lieu devient la cause d’un comique de situation.  Par exemple quand la famille se rend au salon funéraire, et qu’un oncle demande : où sommes-nous ? Alors que celui-ci est toujours dans la cuisine. L’auteur par cette absurdité se moque des conventions théâtrales. La dignité du rire fait la part belle à l’histoire par l’intrusion de ces personnages imaginaires, afin de mettre une distanciation entre les événements qu’ils vivent et la réalité de l’histoire. Wajdi Mouawad lors de l’écriture du texte Littoral avait posé la question à ses comédiens : de quoi avons-nous peur ? Les comédiens avaient répondu : de l’amour, de la joie, de la peine, de la mort. Littoral est une pièce nourrie de toutes ces questions existentielles.

© Jean-Louis Fernandez

La construction de la pièce de Wajdi Mouawad, sur l’héritage de sa filiation, est conçue à la manière d’une poupée russe. L’auteur  invente une histoire qu’il se raconte à lui-même pour la raconter aux comédiens qui eux-mêmes la racontent au public. S’il paraît normal à Wilfrid de donner une sépulture à son père, et de réunir pour l’éternité ses parents en un même caveau, il porte néanmoins en lui la séparation du père et de la mère par le fait même de sa naissance. C’est encore la quête du lieu, mais cette fois de manière tragique. Où doit reposer son père ? La réponse vient du titre : Littoral. Entre la terre et la mer. La terre a dit non par la voix de la famille. La mer l’accueille. Il sera immergé avec le poids des noms.

Mais trop d’histoire tue l’histoire concède lui-même Wajdi Mouawad.

Pourquoi s’il en a conscience, a-t-il donné une durée à sa pièce qui aurait pu être moindre ? Des longueurs qui pèsent là ou des raccourcis auraient été évidents. On décroche souvent sur des répétitions qui ne font qu’amoindrir l’intrigue. La fin se fait attendre. Pourtant on éprouve de l’empathie pour l’histoire de ces personnages bien incarnés par les comédiens. La mise en scène est soignée et la scénographie adaptée. Alors que nous a-t-il manqué ? Cette pièce n’est-elle adressée qu’à son auteur ?

Wajdi Mouawad, nous dit : « Je propose, mais n’impose rien. Aller au théâtre, c’est prendre le risque d’être perturbé, inquiété, déplacé dans ces croyances ou ces convictions. C’est par transparence que l’on découvre des éléments de sa propre vie, et que l’on apprend sur soi. Je ne fais que proposer ce risque, je ne fais que susciter cette transparence

Littoral
Texte et mise en scène : Wajdi Mouawad
Avec : Jean Alibert, Tewfik Jallab, Catherine Larochelle, Marie-Ève Perron, Lahcen Razzougui, Emmanuel Schwartz, Guillaume Sévérac-Schmitz, Richard Thériault
Assistant à la mise en scène : Alain Roy
Conseiller artistique : François Ismert
Dramaturgie : Charlotte Farcet
Scénographie : Emmanuel Clolus
Costumes : Isabelle Larivière
Lumières : Martin Labrecque assisté de Martin Sirois
Direction musicale : Michel F. Côté
Son : Michel Maurer
Maquillages et coiffures : Angelo Barsetti

Du 8 au 10 septembre 2010
Dans le cadre de la
Trilogie Wajdi Mouawad [Littoral | Incendies | Forêts]

Théâtre National de Chaillot
1 Place du Trocadéro, 75016 Paris
www.theatre-chaillot.fr

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