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Lisbeth, écrit par Fabrice Melquiot, mis en scène par Camille Roy, Théâtre Les Déchargeurs

Jan 21, 2020 | Commentaires fermés sur Lisbeth, écrit par Fabrice Melquiot, mis en scène par Camille Roy, Théâtre Les Déchargeurs

 

 

© Sébastien Ventura

 

ƒƒ article de Garance

Lisbeth, c’est une rencontre impromptue à une terrasse de café. Lui est voyageur de commerce et elle vend des bijoux, les deux sont en perpétuel déplacement. L’histoire paraît d’ores et déjà instable mais une fois que les regards se croisent…

Pietr et Lisbeth se toisent, s’observent avec scrupules et finissent par tomber follement amoureux des gestes et manières de l’autre. Ils décident rapidement de faire un enfant ensemble, le rendez-vous est fixé mais, sur le quai de la gare, subitement Pietr n’arrive plus à reconnaître Lisbeth, elle devient alors double, autre. À la manière de cette rencontre inhabituelle, la relation se construit autour d’un mystère, d’une énigme dont on entretient les rouages. Mais alors quand cette brume, ce fantasme disparaissent, que fait-on lorsque qu’on se retrouve face à la personne, la vraie ?

Fabrice Melquiot écrit l’urgence, il dépeint cette énergie anthropophage des jeunes amoureux qui n’ont pas le temps de s’écouter, de se comprendre, et se laissent consumer tout entier. Le rythme s’apparente aux palpitations d’un battement de cœur en excitation (allure soulignée par la musique de transition de chaque scène, ses percussions). Les mots s’enchaînent avec brusquerie, les répliques se mordent entre elles, se chevauchent, s’écrasent, c’est la guerre. Et dans cette bataille le seul terrain d’entente est l’union charnelle. Le texte file à toute allure, les moments de répit se présentent sous la forme de scènes d’amour, scènes leitmotiv qui permettent au récit de réguler la cadence et de faire transpirer la poésie, l’érotisme des mots.

Le récit est écrit pour deux comédiens mais la scène est triple, voir quadruple dans son énigme. En effet, les narrateurs se démultiplient, d’abord Pietr et Lisbeth qui vivent le récit dans deux temporalités différentes puis la présence, les corps des deux comédiens qui semblent anesthésiés du rythme frénétique du texte et enfin le mélange de ces différents éléments, tous témoins de la folle tragédie sans pouvoir y remédier. C’est comme si la seule manière de se retrouver, de se comprendre, le seul langage valable était l’acte amoureux, là où les corps se libèrent et s’octroient cet abandon dans lequel les défauts sont mis en valeur.

Dans cette pièce, malgré les efforts des protagonistes pour s’unir et se synchroniser, le récit est scindé en différents espace-temps. Pietr parle au passé comme pour illustrer la fatalité de cet amour mort-né et la souligner, Lisbeth évolue dans le présent, émancipée de cette trame narrative, évoluant dans son propre espace. Tout du long les personnages ne font que se croiser, le seul réel point de rendez-vous est celui de l’épiphanie de la rencontre de cette « autre Lisbeth » et peut-être la seule et unique qui n’ai jamais existé.

La mise en scène souligne cette fragmentation d’espace-temps. Les comédiens ne se regardent jamais dans les yeux, d’ailleurs la direction des corps, leurs déplacements, tout est fait pour être en opposition continuelle l’un envers l’autre, en un effet de miroir. Les personnages sont tous deux tournés vers l’horizon mais jamais le même, ou pas en même temps. Les réalités se factionnent alors. Ainsi Camille Roy parvient subtilement à mettre en exergue ces questionnements : quelle est la vraie, la bonne réalité, qui suivre, qui croire ? Les comédiens semblent avoir pour indications de profiter de cette faille, de cette cicatrice et de creuser ce fossé et ainsi en perdre davantage le spectateur. En permanence ils construisent ensemble et démolissent les espaces de jeux imaginaires. Tous ces processus alimentent la complexité des caractères et brouillent les pistes, nous plongeant directement dans la déréalisation que vivent les personnages. Les moments vécus intensément au présent sont ceux des coïts. En osmose comme pour jeter un sort et suspendre le temps, les comédiens s’habillent et se déshabillent en un acte presque chorégraphié, cérémonie habituelle du couple, comme pour essayer de se dépêtrer de leurs destins. C’est ici que l’attention est portée sur cet événement, élément pivot du récit.

La scénographie elle, met en lumière ce « non-lieu ». En fond de scène différents éléments, évoqués par les personnages, sont accrochés (parapluie, ourson, livres…) imageant les bribes de souvenirs qui vibrent encore comme tapissées dans les mémoires des deux amants. En jouant avec, les comédiens donnent cette impression de vouloir se battre et de  revivre ces événements afin de modifier le cours des choses mais la fatalité du texte, c’est qu’il n’attend pas, les mots sortent trop rapidement et envahissent l’espace, ne laissant pas de marge de manœuvre pour modifier les choses.

Lisbeth c’est cette passion ravageuse, ce désir charnel qui pousse ces deux êtres à se flouter l’un à l’autre : les corps sont mis à nue mais les identités restent, elles doublent, complexes et mouvantes. C’est une tentative avortée d’amour où le calque du fantasme dévore toute réalité.

 

© Sébastien Ventura

 

 

Lisbeth, écrit par Fabrice Melquiot

Mise en scène, Lumières, Décors, Costumes Camille Roy

Avec Claire Penalver Smarawinska et Martin Guillaud

Musique Quentin Degris

Crédit Photo Xavier Robert et Sébastien Ventura

Publié aux éditions L’arche Editeur

 

 

Du 18 janvier au 1er février 2020

 

Durée 1 h 20

 

 

 

Les Déchargeurs

3 rue des Déchargeurs

75001 Paris

Réservations 01 42 36 00 50

www.lesdechargeurs.fr

 

 

 

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