Critiques // « Life And Times – épisode 1 » par Pavol Liska et Kelly Copper au Théâtre des Abbesses

« Life And Times – épisode 1 » par Pavol Liska et Kelly Copper au Théâtre des Abbesses

Jan 14, 2011 | Un commentaire sur « Life And Times – épisode 1 » par Pavol Liska et Kelly Copper au Théâtre des Abbesses

Critique de Rachelle Dhéry

Une performance déjantée pour les adultes qui ont conservé leur âme d’enfant.

Pour comprendre «Life and Times – épisode 1 », il faut imaginer la rencontre entre deux personnes qui auraient envie de se confier l’une à l’autre. Et par confier, j’entends « remonter à la source de sa vie, à ses souvenirs d’enfance, du plus anodin au plus attachant ». Votre première impression du monde, vos premières émotions, votre première honte, vos premières douleurs, vos envies inassouvies, vos désirs inachevés, vos amis trouvés et perdus, vos petits drames de l’enfance, enfin tout… Du moins, tout ce que vos mémoires affectives et sensorielles ont conservé. Le goût amer ou sucré qu’elles ont laissé sur vos lèvres. Et votre discours dérape, parfois, vous faîtes des digressions, puis vous revenez. Vous bafouillez, vous hésitez. L’autre a-t-il envie d’entendre de telles confessions ? Peut-il comprendre vos émotions d’enfant ?

© Reinhard Werner

Dans « Life and Times – épisode 1 », l’autre, c’est nous, le public. Face au spectacle d’un début de vie qui s’offre à nous, nous acceptons d’entendre la confession de 3h30, ou nous refusons, et quittons cet espace, lors de l’entracte. Parce qu’il faut également préciser que la confession ne se fait ni dans la réserve, ni dans la pudeur. Non. Elle est chantée, dansée, hurlée parfois, dans une démesure palpable. C’est tout un pan de la jeunesse américaine la plus anodine qui nous explose au visage, par le rire, le grotesque, l’absurde, et menée par une troupe survoltée, douée, d’artistes aussi à l’aise à la voix que sur leurs instruments. Ici, pas d’enfance douloureuse, d’enfants battus par un père alcoolique violent. Non. Ici, vous découvrez ou redécouvrez l’image que vous avez de la gentille famille américaine des banlieues chics.

Néanmoins, cette troupe new-yorkaise, elle, est étonnante : les personnages choisis par Kelly Cooper et Pavol Liska, créateurs du Nature Thater of Oklahoma (nom tiré d’un roman de Kafka, « L’Amérique ») pour incarner le témoignage réel d’après une conversation téléphonique de Kristin Worrall, sont tous plus originaux les uns que les autres. Sur scène défilent tour à tour des gais lurons à la bonhommie sympathique, joviaux, loin des clichés aux physiques parfaits qui bombardent nos écrans, dans les films américains. Les chorégraphies choisies accentuent le grotesque de la situation. Les gestes sont volontairement maladroits et disgracieux. Tout comme les voix, pourtant d’une exceptionnelle maîtrise pour la plupart, tendent vers le ridicule. Côté musique, nous avons le plaisir d’entendre des mélodies originales bien que répétitives, guidées par le piano ou l’accordéon, suivies par un xylophone, une flûte traversière, une guitare, un ukulélé, un tambourin, un basson, une basse et même une scie ! Ensemble ou à tour de rôle, ils soutiennent le chant sur toute la longueur du spectacle. La musique nous laisse entendre des accents country, gospel. Parfois, on perçoit Barbra Streisand dans « Yentl » ou dans « Cats », parfois, on dérive vers ABBA. Toutefois, on peut regretter que les voix parfois très aigües, soulignées par cette musique aux thèmes malgré tout redondants, dévoilent les prémices d’une belle migraine.

© Reinhard Werner

Côté décor et costumes, la compagnie a chosi d’opter pour un style franc, simple et minimaliste. Une toile parachute blanche en fond changeant de couleurs lorsqu’elles sont annoncées (au moins, il n’y a pas de confusion possible dans l’interprétation! On dit rouge, le fond se teint en rouge…), les femmes portent des baskets, les robes sont gris-taupes agrémentées d’un foulard rouge et d’un carré rouge collé sur le coeur. D’ailleurs, le rouge est le fil conducteur (encore une fois, pas d’entourloupe possible!). On le retrouve sous forme de ballons envoyés au public. Si si ! Il y a même à un moment un grand monsieur déguisé en lapin. En bref, si vous n’avez pas une âme d’enfant, vous ne pouvez pas comprendre ce que vous voyez ou ce que vous entendez. D’ailleurs, comme dans un spectacle pour enfants, le public a une place de choix : au début et à la fin nous avons en effet droit au traditionnel « coucou » avec les mains, on nous demande l’heure, on nous envoie des ballons, on nous regarde effrontément sans aucune pudeur, on a même droit, à un moment, à une boule de discothèque. C’est la fête ! D’ailleurs, on peut se demander pourquoi la distribution de bonbons n’a pas eu lieu… Dommage…
Pour conclure, je dirai qu’il est regrettable de partir pendant l’entracte, puisque la seconde partie est la mieux réussie, la plus drôle et la plus attachante. Une fois la douleur de la migraine passée, on se fait à cette confession originale et dynamique. On rit parfois, on sourit souvent. Il est vrai que j’aurais encore plus apprécié ce spectacle s’il avait duré 1h30 et mieux vaut boire un bon café avant de venir, voire, pour les moins courageux, un bon red bull. Je ne pense pas que j’irai voir l’episode 2, mais je serai ravie de dévouvrir les futures créations de cette troupe hors-du-commun.

Life And Times – épisode 1
Texte : d’après une conversation téléphonique avec Kristin Worrall
Conception et direction : Pavol Liska et Kelly Copper
Musique originale : Robert M. Johanson
Scénographie : Peter Nigrini
Dramaturgie : Florian Malzacher
Son : 
Tei Blow
Avec : Ilan Bachrach, Gabel Eiben, Anne Gridley, Matthew Korahais, Julie Lamendola, Alison Weisgall
Musiciens : Daniel Gower, Robert M. Johanson, Kristin Worrall
Souffleur : Elisabeth Conner

Du 11 au 15 janvier 2011

Théâtre des Abbesses
31 rue des Abbesses, 75 018 Paris
www.theatredelaville-paris.com

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