© Alejandro Guerrero
ƒƒƒ article de Corinne François-Denève
Le Théâtre de Poche Montparnasse semble s’être fait une spécialité : dans ses salles « de poche » sont programmés des adaptations de textes littéraires. Samuel Labarthe, ainsi, reprend L’Usage du monde de Nicolas Bouvier. Judith Magre se promène dans Racine. Jean-Paul Bordes affronte Les Mémoires d’Hadrien. Et tous les lundis, à 21 heures, Geneviève de Kermabon porte L’Homme qui rit de Victor Hugo, qu’elle a elle-même adapté.
Le texte de Victor Hugo a déjà été l’objet de multiples adaptations. Les plus vieux d’entre nous peuvent garder en mémoire une image du film de Paul Leni, avec Conrad Veidt dans le rôle de Gwynplaine. Les plus jeunes peuvent se souvenir d’un film de Jean-Pierre Améris, avec cette fois Gérard Depardieu dans le rôle d’Ursus. L’homme qui rit croise en effet le destin d’Ursus (l’ours) et de son loup domestique, Homo (l’homme), et ceux de Gwynplaine et Dea. Gwynplaine, orphelin, enfant au visage mutilé par les Comprachicos, qui lui ont donné un sourire éternel et stupide, et Dea (la déesse), jeune aveugle, deviennent bientôt les attractions de la baraque d’Ursus, forain et bateleur, qui vend de mystérieuses potions. Mais la Némésis (ou Victor Hugo) veille : l’orphelin cache une naissance prestigieuse, et sa laideur dissimule une grande beauté d’âme. L’aveugle voit loin. On reconnaît « notre » Hugo : sa propension à manier le sublime et les idées, sa compassion quand il s’agit de parler des misérables et de leur faire une place dans la fiction et la société, sa puissance rhétorique et la splendeur de ses effets ; ses obsessions aussi (« une femme nue est une femme armée »). Les Comprachicos et le wapentake apportent une touche picaresque : le plaidoyer politique se lit comme un roman d’aventures.
On comprend ce qui a séduit Geneviève de Kermabon dans le texte d’Hugo. Son verbe, sans doute, d’abord, et cette capacité fabuleuse à raconter des histoires. L’univers de Geneviève de Kermabon cadre d’ailleurs parfaitement avec celui de L’Homme qui rit. Circassienne, et bien plus encore, Geneviève de Kermabon ne pouvait que se reconnaître dans le décor des baraques foraines du premier pan de l’histoire. On se souvient aussi qu’elle avait adapté Freaks, il y a de cela plusieurs années. Sorte d’« ursa » hugolienne, la comédienne a su tailler dans le foisonnant récit d’Hugo pour en garder une colonne vertébrale solide, axée sur le personnage principal. Vêtue d’un simple costume masculin, elle est la parfaite ordonnancière des cérémonies, donnant alternativement vie au monde interlope des bohémiens, puis au monde en apparence plus fastueux des « grands » d’Angleterre.
Au fur et à mesure que la pièce avance, la voix se fait confidence. Geneviève de Kermabon restitue l’ambiance des contes murmurés au coin du feu, quand le public spectateur, ramené en enfance, demande instamment : « et alors ? et après ? ». Il ne faut pas grand-chose à la comédienne pour donner chair aux personnages, ou évoquer puissamment des scènes : un gilet pailleté, une pirouette, un masque de rien, qui dit tout, un petit loup de dessin… La fin, pourtant connue, tragique, s’opère dans un silence recueilli, dont le silence qui suit est sans doute encore d’Hugo, ou de Geneviève de Kermabon.
© Alejandro Guerrero
L’homme qui rit, d’après Victor Hugo, adaptation de Geneviève de Kermabon
Mise en scène par Geneviève de Kermabon
Lumière : Alireza Kishipour, assisté de Dorian Mahjed-Lucas
Du 2 septembre au 4 novembre 2024, les lundis à 21 h
Durée du spectacle : 1 h 10
Théâtre de Poche Montparnasse
75 boulevard du Montparnasse
75006 Paris
Réservation 01 45 44 50 21
www.theatredepoche-montparnasse.com
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