Critiques // « L’homme dans le plafond », de Timothy Daly au Théâtre de l’Epée de Bois

« L’homme dans le plafond », de Timothy Daly au Théâtre de l’Epée de Bois

Juin 03, 2011 | Aucun commentaire sur « L’homme dans le plafond », de Timothy Daly au Théâtre de l’Epée de Bois

Critique de Rachelle Dhéry

« Seuls les animaux survivent à la guerre »

Et si vous découvriez dans d’obscures archives volontairement oubliées des faits dérangeants de l’histoire, des petits faits divers cruels qui viennent souligner les vices de la race humaine, qu’en feriez-vous ? Faut-il s’en détourner ? Ou bien les rendre publiques ? Timothy Daly, auteur australien, célèbre entre autres pour son Bal de Kafka (créé au Sydney Theatre en 1993 avec Cate Blanchett), décide, quant à lui, d’en faire une pièce de théâtre, à la fois dénonciatrice, acerbe, résolument drôle et étonnamment jubilatoire.

© Jean-Pierre Benzekri

« – Qu’est-ce que vous avez fait ?
– Ce que je fais toujours, je laisse les choses suivre leur cours »

Il était une fois un juif allemand, horloger avant de n’être plus que « juif », qui s’appelait Herr Blickmann (trad. L’homme qui aperçoit, qui regarde). Ce dernier, en 1945, obligé de se cacher pour survivre, accepta l’offre d’un couple d’Allemand de l’héberger dans leur grenier, en échange d’un loyer. De ce « marché » au départ risqué et héroïque pour les uns et salvateur pour l’autre découla une ignominie. Le mari Herr Moller (Vincent Jaspar), cupide, comprit vite que grâce au juif (Sébastien Desjours) qui lui réparait bricoles et bijoux, en ces temps de guerre et de famines, il allait pouvoir s’en mettre plein les poches. C’est pourquoi, à la mort d’Hitler et à la défaite de l’Allemagne, il parvint à convaincre sa femme, Frau Moller (Nathalie Royer), de la nécessité de ne rien dire au juif dans le grenier. Loin de lui donner raison, mais trop lâche pour agir, et trop heureuse de pouvoir manger à satiété, la femme conserva le secret. Mensonges et trahisons furent ses paroles quotidiennes. Pourtant, une étrange tendresse muée en amitié se forgeait entre les deux êtres : lui blotti sous le toit, et elle coincée en-dessous. L’essentiel, en ces temps de délations, surtout dans une petite ville du Nord de l’Allemagne, était de ne pas se faire prendre. Il fallait à tout prix éviter la voisine, cette sangsue vampirique, qui savait tout, voyait tout et entendait tout. Malheureusement elle le découvrit et commença à faire du chantage au mari, en argent, en nourriture…et en nature. La liaison de ces deux êtres machiavéliques leur fit perdre la tête, et leur vie. Quant au juif, après quatre mois passés dans le noir, il finit par comprendre lui-même qu’il avait été la victime d’une duperie écœurante, et s’en fut, laissant la femme seule, avec sa culpabilité.

© Jean-Pierre Benzekri

« C’est une histoire vraie. »

Oui, cela pourrait avoir l’apparence d’un conte. Mais ce n’en est pas un. Comme le répète si souvent la narratrice « C’est une histoire vraie ». Comme pour Anne Franck, qui subitement, vient raviver nos douleurs d’enfants. Pour la raconter, l’auteur a une fois de plus fait appel à la metteuse en scène Isabelle Starkier. Pour rappel, elle avait déjà relevé brillamment le défi avec Le Bal de Kafka en 2007 et Richard III (ou presque) en 2010. Comme à son habitude, Isabelle Starkier s’est entourée de son équipe et de ses comédiens pour monter cette sordide histoire. Et le premier pas dans la salle donne tout de suite le ton. Un homme en costume sombre se tient face au public, stoïque, en haut de cette structure en bois, à cour, penchée, comme l’épave d’un bateau, échouée au milieu d’un désert. Incarnant une vision de cette maison isolée par les secrets et les mensonges, la structure est montée sur deux niveaux. Ainsi, le juif évolue aussi bien vers le haut que vers le bas. Côté Jardin, placé en oblique, se dresse un grand tulle noir, servant à la fois d’écran et de séparation avec la voisine. L’espace du milieu est réservé aux narrations des personnages et à droite, sortant du contexte, la narratrice-accordéoniste et son micro. La scénographie est brute, sombre, mais redoutable d’efficacité. C’est pourquoi le premier pas dans la salle est saisissant.
Isabelle Starkier a choisi un travail sur l’absurde intéressant. L’absurde est la clé de voûte de l’humour juif ashkénaze et forcément en adéquation avec le propos. Le jeu est assez statique pour laisser plus de place au texte. Toutefois, on ne peut s’empêcher de percevoir le juif, le mari et la voisine, telles des marionnettes, qui se meuvent à la manière du grotesque de leur personnage. Entre dialogue et narration, on retrouve l’attrait de la metteuse en scène pour la commedia, le burlesque. La narratrice, telle un ménestrel loufoque, raconte et intervient en même temps sur la scène. Zigzagant sans pudeur entre les personnages et le décor, l’accordéoniste, intruse et parfois sadique, nous fait grincer des dents. Malgré tout, le ton reste léger. Comme quoi, on peut rire de tout, même de ça.

L’Homme dans le Plafond
De : Timothy Daly
Metteur en scène : Isabelle Starkier
Avec : Michelle Brulé, Sébastien desjours, Vincent Jaspard, Anne le Guernec, Natalie Royer
Décorateur : Jean-Pierre Benzekri
Costumière : Anne Bothuon
Traducteur : Michel Lederer
Créateur lumière : Bertrand Llorca
Conseiller musical : Amnon Beham

Du 31 Mai au 12 juin 2011

Théâtre de l’Epée de Bois
Cartoucherie – Route du Champ de Manœuvre, Paris 12e
www.epeedebois.com

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