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L’heure bleue, texte et mise en scène David Clavel, Le CENTQUATRE-PARIS

Jan 28, 2020 | Commentaires fermés sur L’heure bleue, texte et mise en scène David Clavel, Le CENTQUATRE-PARIS

 

© Jean-Louis Fernandez

 

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Un père se meurt, un fils revient, dans le huis clos d’une maison familiale une tragédie se joue et se dénoue. Thème battu et rebattu sans doute mais ce qui diffère ici c’est le traitement. Au sortir de L’heure bleue, il y a ce sentiment tenace et ténu d’un éblouissement, une sensation euphorisante d’une réussite formidable qui vous touche, vous émeut, parce qu’elle réunit là, dans son dénuement volontaire, ce que le théâtre a de plus essentiel et de plus pur, une parole fine, ciselée, âpre et terriblement, dramatiquement juste, des comédiens au plus haut de leur art et une mise en scène du verbe, celui qui porte toute grande tragédie. Cette parole performative qui pendule entre le silence de l’aveu et le verbe de la révélation. Une parole agissante qui enchaîne fermement les personnages les uns aux autres tout en les renvoyant à leur solitude, leur non-dit, leur mystère. Leur fragile humanité.

Une tragédie qui se dénoue à cet instant singulier, entre chien et loup, cette heure bleue où tout s’apaise, instant suspendu après la tempête. Un père se meurt, un pur salaud qui tient dans sa main et par sa mort à venir le destin de ses enfants, de sa femme. Une parole acerbe et qui manipule, corrode, détruit cette famille qu’il hait. Sa fille dont la parole tente d’apaiser. Le fils cadet dont les photos valent plus qu’un discours, qu’un souvenir. La belle-fille, qui sait le poids terrible et les conséquences dramatiques du silence, dont le verbe cherche à réparer. Et puis le fils aîné, celui qui revient, qui s’est tu vingt ans, se tait encore obstinément, qui ne peut dire sans révéler. Et dans ce silence têtu, le secret. La belle-mère que ce retour et la parole délivrent au risque de tout perdre. Entre ces deux-là, le poids du verbe, du silence et de la révélation enfin exprimée. La dramaturgie qui naît de là, du non-dit, du mensonge et des faux-semblants, est ici un moment de grâce absolu, un drame doux-amer jusqu’à la cruauté où la circulation de la parole, ce qu’elle porte en elle de vérité et de mensonge, d’aveuglement et de lucidité, signe les plus belles tragédies. Mais tout concoure ici à cette vérité tangible et fragile, terriblement juste, si rare au théâtre, cette humanité désemparée, impuissante, ce désarroi amoureux, la cruauté des pères chronophages, l’impuissance et la résilience des enfants perdus… Et ils sont fascinants ces comédiens sur le plateau, au plus près de nous, dans les pleins et les déliés de leur personnage si subtilement dessinés, si juste de vérité troublante et inouïe. Oui, la vie est là qui palpite sur le plateau, cœur battant, affolé et bientôt apaisé, d’une tragédie familiale et universelle, embrassée passionnément par ces comédiens dirigés au cordeau, tous dans une harmonie, une partition où rien ne dénote et qu’ils défendent d’un même élan fébrile et ardent parce qu’ils ont trouvé là sans nul doute matière à exprimer l’indicible en chacun de nous, ce tragique de nos existences minuscules qui en fait aussi la grandeur… Fluidité de la parole, des corps même, une mise en scène et une scénographie à l’os, fouaillé au scalpel, qui ne s’embarrasse d’aucun détail superflu pour aller avec intelligence à l’essentiel et libérer le nerf sensible, ce verbe qui acte la tragédie, qui est l’essence même de la tragédie. Car c’est bien ça qui est ici mis en scène, cette parole, et son absence, dans ce qu’elle peut avoir de plus terrible comme de plus consolatrice, dans ce qu’elle révèle des êtres et de leur mystère jamais vraiment résolu, dans ce qu’elle lie et délie aussitôt. L’heure bleue est à découvrir pour ça, pour tout ça, pour ces comédiens-là, cette troupe unie autour de ce projet, pour cette mise en scène si juste et sensible, pour cet instant enfin de théâtre unique et si rare où l’on se dit que oui, la vie est bien là, sublimée, cristallisée par cette parole ouvragée et stylisée, si simple en apparence, écriture de la cruauté par ce qu’elle révèle de notre humanité, vous stupéfie et vous cogne au plexus avec bonheur.

 

© Jean-Louis Fernandez

 

 

L’heure bleue texte et mise en scène de David Clavel

Collaboration artistique : Anne Suarez

Avec : Maël Besnard, David Clavel, Emmanuelle Devos, Valérie de Dietrich, Daniel Martin, Anne Suarez

Scénographie : Emmanuel Clolus

Création lumières et régie générale : Thomas Cottereau

Création son : Lisa Petit de la Rhodière

Création costumes : Nicolas Guéniau

Régie son : Vincent Dupuy

Régie plateau : Adèle Bensussan

Assistante à la mise en scène : Juliette Bayi

 

 

Du 25 janvier au 8 février 2020 à 20 h 30

17 h le dimanche, relâche le lundi

 

Le CENTQUATRE-PARIS

5 rue Curial

75019 Paris

Réservations 01 53 35 50 00

www.billetterie.104.fr

 

 

 

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