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Critique • « L’Hamblette » de Giovanni Testori au Théâtre de l’Opprimé

Fév 26, 2011 | Aucun commentaire sur Critique • « L’Hamblette » de Giovanni Testori au Théâtre de l’Opprimé

Critique de Camille Hazard

L’ Hamlette est une bourrasque : une bourrasque de mots, d’inventivité et d’énergie.

Cette pièce constitue le premier volet d’une trilogie (« Le Ambleto », « Macbeth », « Œdipe ») écrite par l’auteur italien Giovanni Testori, mort en 1993. Bien qu’assez méconnu en France, il demeure autant admiré que contesté en Italie pour ses romans, ses pièces de théâtre, ses critiques littéraires…

« L’Hamblette » reprend le canevas original de « Hamlet » de Shakespeare : funérailles du père, apparition du spectre, découverte du meurtre, vengeance d’Hamlet, morts tragiques.

© Simon Guirlinger

L’auteur expérimente le langage et son pouvoir.

« Quand on est clouté dans l’intérieur d’une caisse de cercueil, c’est rien qu’une caisse cloutée qu’elle l’est et reste pour totos quantos et dans totos quantos les loca locorum les ste monde univerzel. »
Hamblette

Un flot de mots et de sons s’imbriquent, s’entrecroisent les uns les autres, créant un magma de poésie et de pourriture verbale et révélant un monde absurde et tragique. L’écriture rappelle celle d’Ubu Roi d’Alfred Jarry pour sa langue impudique voire scatologique, grotesque, érotique, ironique mais porteuse de rage et de révolte. La construction des phrases, l’utilisation des mots et des sonorités nous replongent dans l’univers de Raymond Queneau spécialement dans « Les fleurs bleues » : florilège de figures de styles (oxymores, assonances, métonymies, d’énallages, métaphores…), jeu et jonglage avec les sons avec ce qu’ils provoquent comme images et comme sens, utilisation de dialectes, d’argot, d’anglicisme, fatras de mots insolites et passés.  Nous entrons dès le début du spectacle dans une danse déchaînée, dans laquelle les comédiens bondissent, grimpent, sautent, courent, sans jamais poser le pied à terre ! Deux heures plus tard… essoufflés, abasourdis, il nous faut reprendre notre souffle et nos esprits !

© Perrine Cado

Le théâtre dans le théâtre, dans le théâtre…

Hamblette, Polone, Lofélie, Gertrude, Le François… sont bien les personnages héritiers et spirituels de Shakespeare mais ceux sont surtout les membres d’une troupe de théâtre dans les années 70 en Italie. La Régine-Gertrude est donc une comédienne qui joue une reine jouant elle-même un personnage au sein de sa cour. Une mise en abîme se crée, des couches de jeu de forment, s’entremêlent  avec une grande force évocatrice. On pense à la troupe de comédiens dans « Hamlet » qui jouent intégralement cette tragédie devant le roi et la reine. On imagine Hamblette jouer aux échecs avec la présence froide de la Mort qui hante la troupe d’acteurs dans le film « Le Septième sceau » de Bergman

Les travers et les humeurs des personnages sont poussés à l’extrême : Hamblette n’est pas le héros shakespearien intellectuel et taciturne, c’est un chef de troupe, gamin des rues en mal de vivre, qui ne comprend ni n’accepte la société qui l’entoure. C’est un révolté populaire.

« La propriété  est la vermine qui transforme tout en pourriture. »
Hamblette

Le metteur en  scène Giampaolo Gotti ne trahit en rien l’écriture de l’auteur, bien au contraire; il accompagne et met en évidence la folie du texte par une mise en scène très inventive, faite de décors mobiles, encastrables  et d’accessoires de “recup”. Les questions sur l’engagement, la révolte, l’insoumission et les limites sont posées. Et si elles se posent dans un cadre politique en inscrivant l’action dans les années 70 où la jeunesse italienne n’hésitait pas à provoquer des guerres civiles, elles questionnent surtout le théâtre et l’artiste. Comme le dit Giampaolo Gotti, « La pièce que nous montons ensemble parle des nécessités paradoxales auxquelles se confronte l’artiste – détruire et recréer, se libérer de tous les liens qui oppriment, se regrouper pour créer… »

© Estelle Gautier

Rêves et squat défraichi…

L’action semble se dérouler dans un squat que des comédiens investissent pour travailler ensemble. Le dépouillement de l’espace, les quelques accessoires à multiples fonctions évoquent une pauvreté bien organisée. En prenant part à cet espace, les comédiens nous entrainent  dans des morceaux de rêves, de mondes monstrueux. La troupe a d’ailleurs travaillé à partir de tableaux de Bacon, Caravage, Géricault, Bosh… Et comme dans les rêves, les personnes se transforment, les comédiens prêtent  leur visage à plusieurs personnages, des balbutiements s’échappent, on attrape à la volée quelques mots, quelques sons qui nous baladent dans une sorte de purgatoire où chacun attend le verdict !

Les acteurs ont une énergie jubilatoire à jouer ce texte !
Marie-Céciel Ouakil (la Régine / Lofélie) distille un parfum empoisonné de mauvaise foi, d’érotisme et de violence dans le rôle de la Reine.
Benoît Félix-Lombard (Hamblette) amène une rage et un entêtement touchant à son personnage ; avec une allure de grand mec dégingandé, il entraîne sa troupe de théâtre parfois avec violence puis une grande fragilité le transperce et va alors se réfugier dans les bras de son ours en peluche… Le jeu des comédiens est précis, inventif. Un travail très impressionnant sur le texte de Giovanni Testori a été accompli. Chaque comédien le fait sien et modèle chaque mot pour en épuiser le sens, certainement ont-ils du tailler à la machette ce texte si dense et si touffu !

Une vraie surprise de découvrir l’écriture géniale et l’univers de cet auteur italien ! Un théâtre fait de bric et de broc où les gros moyens financiers ont été laissés de côté au profit d’un travail d’équipe, d’envie et d’imagination.

L’Hamblette
Texte : Giovanni Testori
Par : la Compagnie La Nouvelle Fabrique
Mise en scène : Giampaolo Gotti
Traduction : Jean-Paul Manganaro
Avec : Clément Carabédian, Benoît Félix-Lombard, Thomas Itterer, Marie-Cécile Ouakil, Colin Rey
Scénographie, costumes : Estelle Gautier
Création lumières : Benjamin Nesme
Création sonore : Thibaut Champagne

Du 23 au 27 février 2011

Théâtre de l’Opprimé
78-80 rue de Charolais, 75 012 Paris – Réservations 01 43 30 44 44
www.theatredelopprime.com

lanouvellefabrique.free.fr

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