© Fabienne Rappeneau
F article de Denis Sanglard
Sarah Barnum, ainsi Marie Colombier surnommait-elle son ennemie intime qui fut jadis son amie, Sarah Bernhardt, dans un livre au titre éponyme, au contenu franchement ordurier qui valut à son autrice son appartement saccagé à la cravache, un procès, une forte amende et trois mois de prison. Foin de barnum dans cette création qui s’intéresse moins au cirque de ce monstre sacré du théâtre, juste et simplement ici ou là quelques références sont distillés comme autant de signes d’une extravagance qui n’était qu’argument publicitaire, un crocodile (Ali-Gaga mort d’une overdose de champagne), et le fameux cercueil dans lequel dit-on elle reposait en attendant l’heure fatidique, mais un regard sur la femme plus que l’artiste, même si les deux sont indissociablement liées dans cette volonté têtue de s’affranchir de tout et avant tout des hommes à qui elle ne voulut ne devoir strictement rien, provoquant par-là autant d’admiration que de mépris. Une femme émancipée donc, libre absolument, ayant échappée à la prostitution de luxe, cet atavisme matriarcal, jeune mère célibataire assumée, folle de ce fils qui perd au jeux ce qu’elle gagne en jouant, directrice et propriétaire de son théâtre, une des seule de son temps avec Virginie Déjazet, traversant deux guerres pour lesquelles à sa manière elle s’engagea sans réserve et, sur une seule jambe (faire la pintade disait-elle) allant jusqu’au front réciter aux poilus de 14 du Racine, toujours sur la brèche financière, prenant la défense de Louise Michel, assumant crânement sa judéité face à l’antisémitisme dont elle était victime, dreyfusarde farouche aussi au côté de Zola… ce que l’on ignore souvent tant le tapage médiatique occultait des engagements sincères. Le texte de Géraldine Martineau n’évoque que brièvement et volontairement la vie de théâtre de « la voix d’or » ; son audition pour le conservatoire, son entrée à la Comédie Française, sa démission fracassante, sa rencontre avec Victor Hugo et la création de la Reine dans Ruy Blas, son retour au Français et son encore démission, sa tournée américaine, sa rencontre avec Rostand et le triomphe de l’Aiglon… Mais rien sur la singularité de son talent, l’appréhension de son art et de sa réception au regard de Julia Bartet ou de Réjane ses contemporaines.
Cette traversée du théâtre et d’une carrière hors-norme auxquelles on ne peut de toute façon pas échapper dans l’évocation de son mythe, n’est qu’un décor qui oblige, l’important étant aussi dans les coulisses en ce qu’ils président aux choix d’une vie pour tenter de comprendre ce que fut cette femme qui semble avoir tout inventé dans la création de soi, pour la création de soi. Une surexposition travaillée sans relâche conçue comme une ferme volonté émancipatrice face aux diktats d’un siècle conservateur et masculiniste. Alors oui, on passe ici sur tout le folklore ressassé ad-nauseam sur la Divine, cette monstration permanente et boulimique d’une icône devenue, pour ne s’attacher qu’à son viscéral besoin de liberté qui fait d’elle une femme hors-norme, avant-gardiste et féministe avant l’heure dans une société patriarcale qui n’en demandait pas tant. C’est à cela que Géraldine Martineau s’attache davantage rejoignant en cela ce que Sacha Guitry avait parfaitement résumé : « ils croient qu’elle était une actrice de son époque (…) ils ne devinent donc pas que si elle revenait, elle serait de leur époque. » Même si parfois cela manque un peu de nuance tant l’admiration, ce que l’on comprend, l’emporte sur la critique et la contradiction. L’actrice comme la femme étaient aussi contestées, Sarah Bernhardt étant sans doute un peu plus complexe que ça et demeure de fait encore quelque peu insaisissable tant elle brouillait son image à l’envie, le mentir vrai étant propre au théâtre et chez Sarah Bernhardt une seconde nature. Il manque à ce récit et à cette mise en scène un point de vue plus affirmée qu’une simple hagiographie.
La mise en scène fluide et sans esbrouffe, classique en sa forme que quelques chansons traversent, encore fragile en cette première, si elle manque d’un peu de souffle, d’allant et de flamboyance à la mesure de son sujet et parfois s’égarant dans la bouffonnerie, (pourquoi faire de Jarret, l’impresario américain un tel clown ?), est portée haut par Estelle Meyer qui tire à elle et sans barguigner ce personnage éminemment théâtral. Juste, toujours, de sa voix de mezzo qui parfois s’enraye, une voix de tragédienne plus d’airain que d’or, excellente chanteuse au demeurant, elle évite toute caricature sarahbernhardesque, ne « plafonnant » pas et ne tombant jamais dans l’emphase récitative, pour apporter une vraie sensibilité et les nuances qui font parfois défaut au texte, à la fois femme de tête, caustique mais également déchirée sans doute par son seul échec, être aimée pour ce qu’elle est et non ce qu’elle représente. Elle n’est pas Sarah Bernhardt, qui peut prétendre l’être ?, et de ce fait elle réussit à l’être sans s’imposer le poids du modèle original. Le reste de la distribution est au diapason, dirigée au cordeau, Marie-Christine Letort (la mère de Sarah Bernhardt surnommée Youle) et Isabelle Gardien (Madame Guérard dite la petite mère) en tête. « Quand même » fut la devise affichée de Sarah Bernhard, comme une provocation ferme pour des promesses futures à tenir. C’est peut-être cela qui manque à cette mise en scène, un peu de provocation pour tenir toute ses promesses.
© Fabienne Rappeneau
L’extraordinaire destinée de Sarah Bernhard, texte et mise en scène de Géraldine Martineau
Avec : Estelle Meyer, Marie-Christine Letort, Isabelle Gardien, Priscilla Bescond, Blanche Leleu, Sylvain Dieuaide, Antoine Cholet, Adrien Melin, Florence Hennequin, Bastien Dollinger
Collaboration artistique : Sylvain Dieuaide
Scénographie : Salma Bordes
Création costumes : Cindy Lombardi
Création lumière / Vidéo : Bertrand Couderc
Chorégraphie : Caroline Marcadé
Perruquière : Judith Scotto
Composition musicale : Simon Dalmais et Estelle Meyer
Assistante mise en scène : Elizabeth Calleo
Du 27 aout au 31 décembre 2024
Du mardi au samedi à 20h30 jusqu’au 6 octobre
En alternance avec la pièce Edmont à partir du 8 octobre
Théâtre du Palais-Royal
38 rue de Montpensier
75001 Paris
Réservation : 01 42 97 40 00
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