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L’Evénement, Annie Ernaux, Studio-Théâtre

Avr 24, 2017 | Commentaires fermés sur L’Evénement, Annie Ernaux, Studio-Théâtre

ƒƒƒ article de Nicolas Brizault

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©DR

Ce spectacle vient clore le festival Singulis « Quatre seuls-en-scène ». Et là, solitude, oui, celle décrite par Annie Ernaux dans L’Evénement, les trois mois avant son avortement clandestin en janvier 1964. Texte sobre, fin, net et rebondissant, sans faiblesse. Etonnement, surprise, innocence, incompréhension en quelques mots. La narratrice est là, seule, balancée dans le vide, essayant de comprendre, de faire comprendre, de survivre, puis de se dire qu’elle n’a plus qu’à être une femme.

Le texte est si simple, si évident, si sûr, que parfois le rire est là, réflexe immédiatement encerclé par des vagues d’incertitudes. L’autre, les autres, pas de soucis, ils nagent et savent où ils vont, surtout les hommes. L’avortement. Les hommes applaudissent, de loin, ou vomissent. Mais démerde-toi. Ils ne comprennent pas. Les femmes s’enfuient, aussi, parfois face à un enfant qui est là et qui va disparaître, l’amitié s’efface, l’aide se noie. Et quelques brins de solidarité. Les surprises sont fortes aussi. La faiseuse d’anges fait bien son travail.

Un texte, un sujet gifle, un sujet qui semblait enfin redevenu « légal » depuis longtemps avec L’IVG, lorsque Annie Ernaux a décidé d’écrire ce livre en 1999, et qui aujourd’hui fait de nouveau trembler, taper du poing sur la table. Alors qu’il faudrait essayer de tendre la main, comme on peut, du mieux qu’on peut.

Denis Podalydès avait parlé de ce texte fulgurant à Françoise Gillard, et voilà, nous sommes ici et là-bas, maintenant et en 1964. Force et finesse extrême. La vie et la mort et la vie. Françoise Gillard raconte, avec la simplicité dévorante des mots d’Annie Ernaux, avec leur sobriété nette, jour après jour, ces points d’interrogation qui s’alourdissent, empêchent et s’insinuent, prennent toute la place.

Françoise Gillard diffuse avec magie la fulgurance du texte d’Annie Ernaux. Avec elle, la force du jeu est comme un fin tremblement dissimulé par lequel l’explosion arrivera sans doute, ou pas. Une image de solitude. Un petit soldat solide qui ne s’effondre pas, ou d’une manière diffuse. Ou dans un hurlement. C’est ce que l’on sent, ce qui résonne, sur scène, devant nous, à deux pas. Et pourtant, Françoise Gillard sort à peine du texte, comme si elle n’était que le résultat du vent passant sur les pages de ce bouquin que l’on voit par terre. Petite voix douce, petit corps, petites mains, mais une telle force, une telle compréhension. Une sobriété répétitive, scandée par des notes courtes sur l’agenda qui retiennent cette femme du vide, de l’aveuglement. Agenda-rambarde, lien de soi à soi qui illustre bien un enfermement certain.

La faiseuse d’anges, et enfin la réalité qui éclate, la réalité en pleine hémorragie. Entre l’anéantissement et la simplicité, le réel qui noie, ou alors sur lequel on s’aperçoit que l’on respire encore, sans trop savoir pourquoi, alors allons-y. Avançons. Annie Ernaux est devenue femme, a écrit, simplement et si fortement, et Françoise Gillard aujourd’hui nous illumine et nous terrifie avec ce texte.

L’Evénement
De Annie Ernaux
Conception et interprétation Françoise Gillard
Collaboration artistique  Denis Podalydès
Lumières Stéphanie Daniel
Costumes Bernadette Villard
Assistanat à la mise en scène Amélie Wendling

Du 19 au 30 avril 2017, 20h30

Studio-Théâtre
Carrousel du Louvre
99, rue de Rivoli – 75001 Paris
Réservations 01 44 58 98 58
www.comedie-francaise.fr

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