Critique de Camille Hazard –
Cette tragédie enfantine, écrite en 1890 par Frank Wedekind, n’a absolument rien perdu de sa perspicacité et de sa modernité ; elle a d’ailleurs influencé le film Virgin suicide réalisé par Sofia Coppola. Pièce composée de tableaux, où l’auteur combine des expériences personnelles avec les souvenirs de ses camarades de classe.
L’éveil du printemps traite de cette étape si importante qu’est l’adolescence. La pièce n’a pas d’action au sens habituel, son intensité se construit au fil des scénettes, des moments de vie qui se suffisent à eux-mêmes. Les drames qui parcourent la pièce : suicide, avortement, incarcération sont plus que jamais d’actualité !
© Élisabeth Carecchio
Wedekind, regrettait de n’avoir jamais vu sa pièce montée avec l’esprit qui convient : jusqu’en 1901, elle est passée pour un ramassis de cochonneries puis, tout le monde s’est entendu pour qu’elle devienne une tragédie très noire. En fait, Wedekind montre dans sa pièce qu’à l’adolescence, les jeunes gens s’éveillent aux sens, à l’amour, à la sexualité mais peuvent également perdre la vie, ou se l’ôter eux-mêmes. Il y a donc une prise de conscience et un cri d’alarme chez l’auteur, tout en mêlant l’insouciance, la fraîcheur et l’enfance.
« Enfant, j’étais bienheureux, mais mon âme devient lucide, et aveugles sont mes yeux »
Le metteur en scène Guillaume Vincent, tout en gardant l’esprit de Wedekind, l’a largement adapté. En rendant le rôle des parents et de l’autorité omniscient, il souhaite recréer sur scène la « bulle » des adolescents, et montrer aussi, que l’éducation a bien changé depuis le XIXe siècle et que les parents ne portent pas tous la faute d’une « mauvaise éducation » ! Il modernise l’époque avec un côté « Rock n’ roll » qui colle parfaitement avec les lycéens d’aujourd’hui. Il faut dire que Guillaume Vincent en travaillant avec des lycéens a été largement inspiré ! Il a abordé son travail de mise en scène par des improvisations sur le passé de chacun des comédiens et le résultat donne une mise en abîme des points de vue sur l’enfance : les comédiens jouent des enfants, des adolescents qui jouent aux enfants, des adolescents qui imitent des adultes s’adressant à des enfants…Tout cela apporte un style enlevé et souvent même survolté !
© Élisabeth Carecchio
Les personnages dansent, courent, chantent, crient, s’épuisent devant nous dans une allégresse inconsciente. Les tableaux sont pleins de ruptures, Guillaume Vincent a bien compris et bien retranscrit sur scène, les états d’âme lunatiques des adolescents : on se rend compte rapidement que dans chacune des fêtes où tout le monde s’amuse, la solitude en fait pèse sur chacun. Les personnages (et donc les acteurs !) passent du rire, aux larmes, au silence, à une violence inouïe, à la sensualité, à l’excitation…On a même l’impression parfois, d’assister à une représentation de spectacles de fin d’année, mais le parti pris est assumé et c’est un délice !
Le metteur en scène souhaitait au début créer un plateau de jeu avec des éléments naturels : herbes, eau, terre…Mais pour des raisons techniques, il a opté pour une direction tout à fait opposée : une pièce d’intérieur transformable où la nature est représentée sous forme de photos, animaux empaillés, peintures … et sous la forme de fenêtre qui donne sur un extérieur changeant au fil des tableaux.
Le jeu des comédiens est parfois inégal tout en gardant pendant 2h45 une énergie redoutable ! Toutefois, Cyril Texier qui interprète le rôle de Melchior est remarquable d’habileté, de souplesse, il est juste évident : il nous livre un univers décalé, au bord de la folie avec tantôt une extrême violence, tantôt une poésie enfantine.
L’ensemble donne une mise en scène osée, assumée, pleine de couleurs et où l’on peut découvrir le talent d’un jeune comédien
L’éveil du Printemps
D’après : Frank Wedekind
Traduction de l’allemand : François Regnault
Mise en scène : Guillaume Vincent
Avec : Émilie Incerti Formentini, Florence Janas, Pauline Lorillard, Nicolas Maury, Philippe Orivel, Matthieu Sampeur, Cyril Texier, Guillaume Vincent
Collaboration danse : David Wampach
Création sonore : Olivier Pasquet
Dramaturgie : Marion Stoufflet
Scénographie : Alexandre de Dardel
Lumière : Nicolas Joubert
Costumes : Lucie Durant
Son : Adrien Wernert
Régie générale : Jérémie Papin
Marionnette : Bérengère Vantusso
Toile peinte : François Gaultier-Lafaye
Couturières : Carole Cattrini
Maquillage : Barbara AttalDu 12 mars au 16 avril 2010
Théâtre de la Colline
15 rue Malte-Brun, 75 020 Paris
www.colline.fr