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Lettres de non motivation de Julien Prévieux mise en scène de Vincent Thomasset au théâtre de la bastille

Nov 13, 2015 | Commentaires fermés sur Lettres de non motivation de Julien Prévieux mise en scène de Vincent Thomasset au théâtre de la bastille

ƒ article d’Anna Grahm

 

©Vincent Thomasset

©Vincent Thomasset

 

Dans la guerre économique qui sévit aujourd’hui, il faut être un bon petit soldat et apprendre d’urgence à marcher au pas. Ou pas. L’artiste plasticien, Julien Prévieux, lui a choisi de dire non, non au formatage, non à l’esclavage, et s’il entre dans le jeu c’est uniquement pour déjouer les pièges qui guettent les demandeurs d’emplois.

Le public, qui connaît par cœur les stratégies de profil bas, se délecte. Car sur la scène nue, défile un par un, des candidats très spéciaux, qui plutôt de répondre aux critères demandés, se montrent plutôt récalcitrants et finissent tous par refuser le poste proposé dans l’attente d’une réponse, et prient d’agréer etc… Car au lieu de se dire forts et organisés et capables d’endosser des responsabilités, ils se révèlent fragiles, pointilleux et délibérément sarcastiques.

Sur l’écran, s’affiche le cortège de petites annonces habituelles puis les réponses désopilantes de ces étranges pieds nickelés, et le public qui les lit jubile. Car il assiste à un combat inédit, une bataille des mots, une lutte par lettres, un sabotage systématique commis par des opposants qui contestent les codes établis. Mais le plus drôle c’est sans doute la défense offusquée des entreprises attaquées.

Evidemment le public comprend leurs prises de position : le respect de la hiérarchie est déboulonné par le tutoiement, les photos des annonceurs sont ridiculisées, les phrases chocs comme l’envie de réussir sont tranquillement déconstruites. Mais devant les réponses types des entreprises qui succèdent aux arguments loufoques, le public qui affronte au quotidien cette indifférence, a vite choisi son camp.

En plus sur le plateau, on se permet de faire des déductions plutôt fines, on ose des hypothèses assez inattendues, on pointe des paradoxes qui crèvent les yeux, on formule très poliment certes, les obligations de grands écarts et tous ces compromis à la petite semaine, et on peut même s’inquiéter pour les malheurs du DRH et s’amuser à lui proposer de s’évader de sa prison dorée.

La mise en scène de Vincent Thomasset se contente d’accompagner ces personnages déroutants, il les pousse chacun leur tour sur le devant de la scène pour qu’ils exposent leurs douces résistances. Cette pauvre jeune fille morte de trouille, n’a décidément aucune chance de gagner à la loterie. Ni cet ostrogoth en short et torse nu tout droit descendu d’une fresque des magasins d’Abercrombie, qui saute comme un cabri, totalement azimuté. Quand à celui qui se raconte comme un conte pour enfants dans un micro, n’en parlons pas, il plombe l’ambiance et celle qui parle gromelot, pareil, exit, on ne la comprend pas, non plus celui qui s’exprime en langue informatique, dehors. Il faut admettre que ces inadaptés du travail sont abscons, contre productifs à souhait et suffisamment malins pour rester apparemment inoffensifs, voire même savamment minables.

La proposition de Julien Prévieux est une variante contemporaine du Bartleby de Melville. C’est une stratégie de la fuite mais ici toujours argumentée. Pas motivés, les acteurs se détournent de l’obligation de se vendre, plutôt que de se décrire de façon formelle, ils déclinent chaque offre en la critiquant rigoureusement. Combattant chaque fois l’idée d’être réduits à des cases, ils se retrouvent à dire non. Non à l’obéissance. On choisit de s’éloigner de la logique imposée, on ment, on préfère passer pour fou mais on s’invente, mais on se souvient qu’on peut toujours agir. Ici c’est Bartleby version hacker.

L’exercice est libérateur, quoi qu’un peu répétitif, puisqu’il dénonce l’aliénation. Il rappelle en substance une logique silencieuse : sur le marché du travail, il y a des chômeurs qui sont créatifs, tous les créatifs sont résistants, il y a donc des chômeurs qui sont résistants.

Lettres de non-motivation
Texte de Julien Prévieux
Mise en scène de Vincent Thomasset
Assistante mise en scène Brune Bleicher
Scénographie Ilanit Illouz

Avec David Arribe, Johann Cuny, Michèle Gurtner, François Lewyllie, Anne Steffens

Du 10 au 21 novembre 2015 à 20h00 (relâche le dimanche)

Théâtre de la Bastille
78 Rue de la Roquette 75011 Paris
Réservation 01 43 57 42 14
M° Bastille
www.theatre-bastille.com

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