ƒƒ Article de Victoria Fourel
© Lucie Jansch
Danseur virtuose, homme tourmenté par la folie, et par une certaine solitude, Nijinski s’est ouvert dans un journal intime, qui fut sa première et seule tentative d’écriture. Fascinés par la figure complexe de l’artiste, et par celle d’un homme qui atteint la folie, pas après pas, page après page, Wilson le metteur en scène et Baryshnikov l’acteur et danseur se sont emparés de ses écrits et de sa silhouette.
D’un ensemble protéiforme et parfois confus, les deux artistes ont tiré des phases, des refrains répétés inlassablement, des pensées mystiques, artistiquement fortes ou au contraire très floues. Les répétitions, en anglais, en russe, ou en français, semblent inspirer le danseur ou le metteur en scène comme des phrases musicales, et chacun de ces aspects choisis fait l’objet d’une scène, d’un passage. On dirait même que les voix off, qui assènent le texte de Nijinski, donnent le ton d’une scène qu’acteur et techniciens s’empressent ensuite de mettre en place sur ce très beau plateau.
La crise mystique de Nijinski est magnifiquement mise en valeur par une lumière formidable, de la même façon que sa relation aux femmes, considérée comme son erreur de jeunesse, est mise en scène dans une sorte de théâtre de marionnettes absurde et répétitif. Deux exemples d’une structure nette : une image, une boucle chorégraphique peu démonstrative de l’ordre de la danse-théâtre. Le tout est un portrait performance, qui joue avec les sonorités et les facettes d’une folie, d’un isolement.
Force est de constater en revanche que la construction éclatée ne donne à voir qu’une machine vouée au dérèglement, et il y a trop peu de moments où l’on rencontre Nijinski, où on a le temps de le rencontrer. On apprécie particulièrement les moments où l’adaptation laisse le temps à la parole du danseur de s’installer, d’avancer. On évite alors un effet de phrases emblématiques, de gimmicks. Car même si l’on marche au creux de l’instabilité d’un homme, l’avancée du spectacle et du récit se doit aussi parfois d’être sur un rail, d’avancer, de ne pas seulement tourner en rond. A certains moments, l’image est si belle, si décalée, entre film muet et tableau expressionniste, entre ambiance jazzy et musique traditionnelle, que le texte n’est que l’accessoire d’un mime qui n’en aurait pas besoin. Mais parfois, pour donner à manger au spectateur, pour parvenir jusqu’à lui, son regard et son oreille a besoin de temps, et de matière.
Si le tout est terriblement exigeant, très énergique, vaguement hypnotique et un peu étrange, Nijinski a dans ce portrait mille visages et Robert Wilson lui donne aussi mille couleurs. Ce spectacle, qui ne laisse pas beaucoup de confort s’installer, parvient pourtant tout à fait à laisser s’y installer la beauté.
Letter to a man
Texte Christian Dumais-Lvowski
Mise en scène Robert Wilson
Avec Mikhail BaryshnikovDu jeudi 15 décembre 2016 au samedi 21 janvier 2017.
Du lundi au vendredi à 20h30, le samedi 15h ou 20h30, et le dimanche à 15h.Espace Pierre Cardin
1 avenue Gabriel 75008 Paris
Métro Concorde ou Champs-Elysées Clémenceau
Réservation 01 42 74 22 77
www.theatredelaville-paris.com
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