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Les vies authentiques de Phinéas Gage, texte et mise en scène de Marie Piemontese et Florent Trochel, à L’Échangeur, Bagnolet

Mar 08, 2025 | Commentaires fermés sur Les vies authentiques de Phinéas Gage, texte et mise en scène de Marie Piemontese et Florent Trochel, à L’Échangeur, Bagnolet

 

© Philippe Savoir

 

ƒƒ article de Nicolas Thevenot

Ce titre fleure bon son époque révolue, tend sa flèche dans l’arc temporel comme une œillade. « Vies authentiques » résonne à la façon d’un revival hagiographique ou d’une épopée légendaire de grand personnage historique, troublé toutefois par ce pluriel. D’aucuns diraient qu’il y a anguille sous roche, mais la vérité est plutôt celle d’une barre à mine dans l’entre roche. Phinéas Gage a bel et bien existé alors même que ce que l’on découvre dans la pièce de Marie Piemontese et Florent Trochel parait foncièrement impossible, irréel, pure imagination : l’histoire extraordinaire d’un contremaître des chemins de fer américains dont le crane fut littéralement traversé par une barre à mine le 13 septembre 1848 lors d’une explosion accidentelle sur le chantier de construction d’une nouvelle ligne, y survivant miraculeusement. Les vies authentiques de Phinéas Gage s’empare de son sujet tambour battant, nous projette in medias res dans le « dit de la vie », dans les on-dit, par une choralité presque mozartienne, entremêlant les paroles comme l’emboitement des pièces d’un jeu de mécano, Éric Feldman et Shams El Karoui bientôt rejoint par Philippe Frécon, s’entrecoupant, accélérant, dérivant, reprenant, brodant, le fil d’une histoire qui se déplie dans le feu de l’action. Si le texte travaille dramaturgiquement à des correspondances ou équivalences de sens entre le destin à marche forcée de Phinéas Gage et la marche du progrès, questionnant ce dernier, il est lui-même structuré par un haletant procès dramatique, produisant une narration entrechoquant à toute allure dans la trame du matériau théâtral les rebondissements de cette histoire en lambeaux. Des traverses de bois, modulables, deux portants où pendent des vestes à paillettes, tout cela dans le chromatisme de l’aurore aux doigts de rose, effet cabaret et cirque assuré, le texte et la mise en scène prennent leur distance avec tout réalisme pour mieux investir esthétiquement l’entre deux, puissamment poétique, de cette histoire véridique et de son invraisemblance. Cette barre à mine crevant le plafond du cerveau perce le trompe l’œil que nous peint l’idéologie du progrès, cheval de Troie du capitalisme le plus débridé, coupant les montagnes en deux comme il scinde l’esprit humain, faisant « sauter le paysage ». Mais cette barre fichée dans la tête de Phinéas Gage agit également comme la parabole de la paille et de la poutre, attirant tous les regards, quand l’essentiel est ailleurs, et c’est bien de cela que ces vies authentiques, dans leur pluriel, témoignent : ce que la société assimila à une séquelle pathologique, l’abandon de sa précédente carrière pour une vie plus aventureuse (« Gage n’est plus Gage »), révèle bien plutôt l’esprit sain, soigné des visées expansionnistes, colonialistes, extractivistes de sa civilisation, et larguant enfin les amarres. En suivant ce parcours narré avec verdeur, dopé d’une frondeuse singularité, brillant d’éclats comme un kaléidoscope, follement emballé, c’est Thomas Pynchon et son spectaculaire roman Contrejour, à l’orée également du XXIème siècle, qui nous revient en mémoire, comme l’ombre portée d’un début inaugural qui n’en finirait plus de secouer notre temps.

Alors que l’histoire avance comme un train qui ne semble plus pouvoir s’arrêter, Marie Piemontese et Florent Trochel ménagent dans leur mise en scène l’apparition grand guignolesque et tout autant subtile d’un double ensanglanté de Phinéas Gage, visage dévoré de rouge obscur, troublant au plus haut point et, sous certaines lumières, semblant littéralement ne plus avoir de visage mais semblant laisser voir, en son absence, les volutes de brouillard qui marbrent le mur derrière lui, et au son de sa mélopée, nous absorba, trouant notre propre entendement comme s’il avait le pouvoir de trouer tout autant la mortifère narration de notre monde.

 

©Philippe Savoir

 

Les vies authentiques de Phinéas Gage, texte et mise en scène de Marie Piemontese et Florent Trochel

Avec : Shams El Karoui, Eric Feldman, Philippe Frécon, Yohanna Fuchs

Voix off : William Stoppa

Création lumière et scénographie : Florent Trochel

Construction : Antoine Plischke

Stagiaire :  Carmen Dorel

Marraine : Agnès Berthon

 

Durée : 1h30

Du 3 mars au 8 mars 2025 à 20h30 sauf le samedi 18h

 

Théâtre L’Échangeur – Bagnolet

59, avenue du Général de Gaulle

93170 Bagnolet

 

Réservations : 01 43 62 71 20

https://lechangeur.org

 

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