© Jean-Louis Fernandez
ƒƒ Article de Corinne François-Denève
Projet personnel de sortie d’école créé en 2016 au TNS, et alors remarqué par le dispositif « cluster », Les Terrains vagues de Pauline Haudepin se présente comme une revisitation « moderne » du conte de Grimm, Raiponce. La mention en est superflue, tant la fable se déploie vers des imaginaires divers : certes, Pauline Haudepin conserve le nom de son personnage, Raiponce, et lui adjoint un prince qui perdra la vue, comme dans l’histoire originelle. Ici, il s’appelle Lazslo, nom mystérieux et beau s’il en est. Ici, les parents de Raiponce s’appellent Sandman et Colchique : une fleur de l’été, emportée par le vent, pour l’une, et, pour l’autre, un marchand de sable, comme le rappelle une autre chanson, fredonnée plusieurs fois dans la pièce (« Mr. Sandman, bring me a dream/ Make him the cutest that I’ve ever seen ») – à moins que ce ne soit l’« homme au sable » des contes d’Hoffmann. Point non plus de haute tour, ici, mais un amoncellement de galetas. Point de longs cheveux et de soie. Point, sans doute, de mariage final, assorti d’un compte plus ou moins précis d’enfants. « Les Terrains vagues » : au parcours codifié du conte succède une instabilité inquiétante.
Le titre l’indique également, le conte s’est déplacé vers des quartiers excentriques : Raiponce est gardée dans un endroit obscur, surveillée par un geôlier menaçant. Si elle n’est pas vraiment recluse, elle n’a que la force de son esprit pour convoquer les espoirs de devenir une femme (une envie de se gratter là, soudain, oui là), et de faire apparaître Lazslo, puis de construire avec lui une maison, ou un arbre. Les « mauvaises herbes » sont celles qui poussent sur le sol désolé du plateau, celles aussi que recherche Colchique, et que fabrique et vend Sandman : des potions qui permettent, justement, de sortir de ce quotidien sombre et gris, de l’herbe, quoi. Le conte est donc celui des enfants du siècle désenchanté, un Starmania à Coppelia où les automates cherchent la magie sous la cendre ou la poudre de ciment.
Les Terrains vagues est un projet d’école. Plutôt qu’une pièce d’élève, on pourrait toutefois le considérer comme le « chef-d’œuvre » au sens des compagnons du Tour de France. Tout y est travaillé, minutieusement, méticuleusement : le texte, alternance de dialogues et de morceaux plus lyriques ; le costume de Raiponce, mini-robe de petite fille, mais qui laisse voir des jambes de ballerine déjà grande ; la rampe de petites lampes, qui chancelle joliment au début et à la fin ; la poussière des parpaings maniés, qui dessinent une maison ou creusent une tombe ; les chorégraphies de « Raiponce », petit être souple et portatif, mais en même temps inflexible ; tout cela jusque dans la perfection des saluts. Pour la prochaine pièce, il faudra se lancer dans le vide, ou le flou de l’imperfection. Dans les rôles-titres, il est peu de dire que la jeunesse et l’allant des acteurs et actrices fait merveille(s).
© Jean-Louis Fernandez
Les Terrains vagues de Pauline Haudepin, d’après Raiponce des frères Grimm
Mise en scène de Pauline Haudepin
Avec Marianne Deshayes, Paul Gaillard, Genséric Coléno-Demeulenaere, Dea Liane, et la voix de Jean-François Pauvros
Scénographie Solène Fourt et Salma Bordes
Costumes Solène Fourt
Création lumières Quentin Maudet
Création sonore Salma Bordes et Camille Sanchez
En collaboration avec Madeleine le Bouteiller (violoncelle) et la participation de Marion Jumelais et Clara Dufourmantelle
Réalisation décor et costumes les ateliers du TNS
Durée 1h25
Du 29 novembre au 11 décembre 2018
Lundi, mardi, vendredi à 20h30
Jeudi, samedi à 19 h 30
Relâche mercredi et dimanche
Théâtre de la Cité internationale
17, bd Jourdan
75014 Paris
Salle Resserre
Réservations : 01 43 13 50 50
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