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Les Sorcières de Salem, d’Arthur Miller, mise en scène Emmanuel Demarcy-Motta, Théâtre de la Ville (Espace Cardin)

Sep 15, 2020 | Commentaires fermés sur Les Sorcières de Salem, d’Arthur Miller, mise en scène Emmanuel Demarcy-Motta, Théâtre de la Ville (Espace Cardin)

 

© Jean-Louis Fernandez

  

ƒƒ article de Hoël

Après un arrêt des représentations dû au confinement, la pièce d’Arthur Miller, déjà présentée l’année dernière, Les Sorcières de Salem, mise en scène par Emmanuel Demarcy-Mota, revient au Théâtre de La Ville (Espace Cardin) jusqu’au 10 octobre.

La pièce fut écrite dans les années 1950, d’abord pour dénoncer la « chasse aux sorcières » qui ravageait l’Amérique à l’époque du « Maccarthysme ». Cette recherche terrorisante des sympathisants communistes trouvait en effet écho dans les dénonciations et les procès douteux qui eurent lieu à Salem en 1692.

Au-delà de ces références historiques, et ici, avec la mise en scène de la Troupe du Théâtre de la Ville, ce sont les questions de l’intolérance et de l’aveuglement collectif qui sont soulignées. Comment des rumeurs, des rancunes, des égoïsmes peuvent en venir à déchirer une communauté, voire une société, en montant progressivement ses membres les uns contre les autres ? Comment la parole des gens, les informations plus ou moins vérifiées, et les non-dits, peuvent conduire à une paranoïa qui sape toute solidarité ? Et comment certaines personnes peuvent en venir à se servir de ce climat de délation pour assoir leur autorité, ou parvenir à leurs fins ? Et jusqu’où ce climat délétère peut y mener ?

Salem, 1692 : des femmes sont aperçues dansant nues dans la forêt. Jeunes femmes souhaitant disposer librement de leur corps ? Possédées par le diable ? Sorcières en pleine incantation ? C’est le début d’un imbroglio social, personnel, politique, et judiciaire. La sincérité et la justice s’effritent au profit de l’instrumentalisation de la vérité, de trahisons et de la toute puissance des juges.

On se renvoie la balle sur la culpabilité. Les aveux et les dénonciations font office de rédemption. Au final, cette chasse aux Sorcières dans le Massachusetts donnera lieu à l’extorsion d’aveux par la torture et l’exécution d’une vingtaine de femmes.

Et si tout ceci, du moins dans la pièce, n’avait été que machination et vengeance personnelle, menée par une jeune servante adultère ?

C’est cette atmosphère de « chaudron maléfique », qu’Emmanuel Demarcy-Mota a réussi à retranscrire, grâce à une mise en scène qui met surtout en valeur les corps et la parole. Ces corps défendus, cette chair pécheresse, cette liberté condamnée. Et cette parole toute-puissante, qui érige un mur infranchissable entre le Bien et le Mal.

Outre l’interprétation saisissante d’Elodie Bouchez en Abigail, il faut ici noter le travail remarquable sur la lumière, qui ajoute à l’univers mystérieux et sombre de cette histoire. Les comédiens semblent avoir été dirigés pour épouser ce climat étrange et insaisissable de cette ville en proie à une machination démoniaque : le réalisme est laissé de côté au profit d’un certain onirisme dans le jeu. Une très belle distribution, allant du chœur des Sorcières aux individus masculins aussi charismatiques qu’effrayants. Tour à tour, les comédiens révèlent fragilité, ambiguïté, maîtrise de la situation ou incontestable impuissance…

Finalement, ce n’est plus seulement une page de l’histoire des Etats-Unis, mais c’est un drame universel qui se joue sous nos yeux. Et parce que l’histoire peut toujours se répéter, parce que l’intolérance réapparaît toujours, cette pièce semble aujourd’hui encore comme essentielle dans cette dénonciation de la haine de tous contre tous. Elle nous invite à prendre du recul face aux évènements, aux informations qui nous entourent tant dans notre vie privée que dans la sphère publique.

 

 

Les Sorcières de Salem, d’Arthur Miller

 

Mise en scène Emmanuel Demarcy-Mota

Assistant à la mise en scène Christophe Lemaire

Scénographie Yves Collet

Lumières Yves Collet et Christophe Lemaire

Costumes Fanny Brouste

Musique Arman Mélies

 

Avec Élodie Bouchez, Serge Maggiani, Sarah Karbasnikoff, Philippe Demarle, Sandra Faure, Jauris Casanova, Lucie Gallo, Jackee Toto, Marie-France Alvarez, Stéphane Krähenbühl, Éléonore Lenne, Gérald Maillet, Grace Seri, Charles-Roger Bour

 

Du 8 septembre au 10 octobre 2020

Durée 1 h 50

 

Théâtre de la Ville – Espace Cardin

1 Avenue Gabriel

75008 Paris

 

Réservation 01 42 74 22 77

www.theatredelaville-paris.com

 

 

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