© Vincent Pontet
ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier
Les Serge, créé en 2019 au Studio-Théâtre de la Comédie-Française, par les sociétaires Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux, deux hommes-orchestre, connaît un parcours dont la longévité et le succès n’avaient probablement pas été anticipés, ni espérés à l’origine. On pourrait parler d’un caprice au sens propre musical, à savoir une « œuvre aux contours imprévisibles, dont l’inspiration, la réalisation s’écarte des règles et des conventions habituelles » et au sens figuré puisqu’il s’agit d’un objet théâtral non identifié, conçu et orchestré par six comédiens de la vénérable troupe du Français, se réunissant autour d’un chanteur inclassable, et tout sauf classique, si ce n’est sa culture musicale, qui jouait si bien la comédie dans la vie… C’est d’ailleurs, l’un des aspects que montre bien leur spectacle : la frontière entre la vie privée et la vie publique, le jeu des apparences, le besoin de la provocation, le cynisme pour cacher la timidité, le sarcasme pour combattre la laideur et les fleurs maladives, le scepticisme pour la lucidité, le rejet du bonheur pour avoir encore quelque chose à dire…
Celui qui composait avec le portrait de Chopin sur son piano, en souvenir des préludes que jouait son père dans son enfance, agissant comme une madeleine de Proust, s’enivrait de bons mots, à tiroirs, à clefs, aussi bien dans ses chansons, dont les tubes ne se comptent plus, que dans ses réponses à ses interlocuteurs, d’un jour ou de toujours, avec Birkin comme seul personnage féminin témoin. Une femme est présente néanmoins au plateau qui joue son Gainsbourg à l’égal de ses cinq comparses. Rebecca Marder à l’origine, est remplacée, en tournée, par Marie Oppert, sublime (en particulier quand elle vocalise la fin de Comme un boomerang) jusque dans le bis. L’intrication de bribes d’interviews et des réponses de ce Serge pluriel avec les adaptations de quelques chansons parmi les plus connues de l’homme aux gitanes, est réglée au millimètre ; tout s’enchaîne avec fluidité et brio, y compris dans les fausses sorties. Tout sonne juste, sans esbrouffe, un exercice d’équilibrisme parfaitement maîtrisé, expert et exquis.
On a même l’impression de redécouvrir certains titres, comme l’audacieux et délicieux canon sur Les sucettes à l’anis, voire les subliment ou dépassent l’interprétation de leur créateur (Comme un Boomerang déjà cité ; ou encore Ces petits riens par un Stéphane Varupenne que l’on a senti particulièrement sensible en ce soir de première à Nice, par ailleurs bluffant quand il passe d’une mesure à l’autre du trombone à la guitare). The initials B.B. et Je suis venue te dire que je m’en vais, notamment, sont des chefs d’œuvre collectifs, avec la merveilleuse clarinette de Sébastien Pouderoux et le solo voix superbe de Yoann Gasiorowski. Il n’y a guère peut-être que La noyée dont on préfère incontestablement la réinterprétation par Arthur Teboul et Baptiste Trotignon, version subjectivement indépassable à ce jour. Mais Benjamin Lavernhe est irrésistible dans ses petits solos de basse et de « batterie ».
Chaque comédien-musicien participe avec sa personnalité, sans jamais singer le chanteur, à l’exception de quelques mimiques qui paraissent presque involontaires ici et là et particulièrement dans le jeu de Noam Morgensztern se délectant des volutes de fumée légendaires. L’ensemble est à la fois épatant et touchant, entraînant et émouvant, drôle et percutant. Et s’il s’agit bien d’un hommage à Serge Gainsbourg, ce concert-jeu fuit l’hagiographie, tout comme ne prétend à aucune exhaustivité. L’heure 20 passe comme un charme, qu’on aurait bien vue ou voulu voir se prolonger un peu… On repart le sourire aux lèvres, en chantant La javanaise évidemment…
© Vincent Pontet
Les Serge (Gainsbourg point barre), de Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux
Costumes : Magdaléna Calloc’h
Lumière : Éric Dumas
Arrangements musicaux : Guillaume Bachelé, Martin Leterme, Vincent Leterme et les Serge
Son : Théo Jonva
Avec, de la Comédie-Française : Stéphane Varupenne, Benjamin Lavernhe, Sébastien Pouderoux, Noam Morgensztern, Yoann Gasiorowski, Marie Oppert
23 au 25 avril 2025 à 20h, le 26 avril à 15h
Durée : 1h20
Théâtre National de Nice
Salle de la cuisine
Réservations : www.tnn.fr
En tournée :
Théâtre La Colonne – Miramas : le 6 mai à 20h
Théâtre Théo Argence – Saint-Priest : le 17 mai à 20h
Les Célestins, Théâtre de Lyon : du 21 au 31 mai à 20h, le 24 mai à 21h, jeudi à 19h30, dimanche à 16h (relâche le 26)
Festival d’Anjou – Château du Plessis-Macé : les 9 et 10 juin à 21h30
Théâtre de la Mer – Festival Quand je pense à Fernande – Sète : le 28 juin à 21h
Châteauvallon, scène nationale à Ollioules dans le cadre du Festival d’été de Châteauvallon– amphithéâtre : le 1er juillet à 22h
Eurockéennes de Belfort ; le 6 juillet
Citadelle de Besançon : le 8 juillet à 21h
La Scala Provence – salle 600 – Avignon : du 15 au 27 juillet à 21h30 (relâche le 21)
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