© Christophe Raynaud de Lage
ƒƒƒ article de Denis sanglard
Après avoir joyeusement et avec une juste prémonition fêté la fin du monde, puis dézingué et déplumé la revue, enfin faire œuvre anticipée d’anthologie (ou presque), Les Sea Girls, on n’est jamais bien servi que par soi-même, s’attaquent aux Sea Girls. Oui, c’est dans les coulisses de ce trio infernal, dans leur loge que les spectateurs sont invités. Et le vernis craque. La cinquantaine qui se pointe, les genoux qui grincent et le dos qui vous lâche, les tournées qui vous épuisent et vous rendent moches, les hôtels improbables, les gares anonymes… Et des spectateurs pas toujours au rendez-vous (quoique). Même les musiciens s’en mêlent qui règlent aussi leur compte. Alors à l’heure du bilan vient le blues… Un sentiment d’usure, une crise existentielle, qui vous rend cafardeuses, tout chiffon où monter sur scène n’est plus vraiment un sacerdoce et même finit par vous ficher la trouille. Du feu sacré ne resterait-il que cendre ? Mais stoppons là notre inquiétude, the show must go on et les Sea Girls assurent grave qui n’ont rien perdu de leur abatage, de leur folie furieuse, de leur énergie infernale. La crise de la cinquantaine, l’envers du music-hall, sous les strass le stress, c’est l’occasion pour ces trois-là de remettre les pendules à l’heure, de faire le bilan de vingt ans de carrière, de compagnonnage et d’amitié indissoluble. De se projeter dans l’avenir, de rêver aussi à une carrière solo et internationale malgré un anglais plus qu’approximatif… Mais sans rien perdre de leur humour vachard, de leur causticité, d’une salutaire et féroce autodérision. Un univers toujours aussi brindezingue et furieusement drôle qui n’empêche nullement le talent énôôôrme de ce trio pour un formidable pied de nez à la morosité ambiante. Alors oui, on s’engueule, de coups tordus en réflexions assassines, on se crêpe la perruque, on se rabiboche aussi sec. Car solidaires, toujours, unies comme les cinq doigts de la main moins deux. Toujours aussi monstrueusement talentueuses qui chantent et dansent désormais en serrant les fesses, bien gainées surtout et vacillantes sur leurs talons de 10, le sourire accroché malgré la migraine qui vous taraude. « Faut tenir et durer » chantait Juliette (« I’m still here »), c’est bien à ça qu’elles font référence nos sirènes, sans se départir jamais de leur ironie, de leur esprit et mordant. Et elles tiennent et durent depuis vingt ans, qu’elles affirment, sachant se renouveler d’un opus à l’autre, n’usant jamais des mêmes recettes, dépoussiérant le music-hall, le mâtinant de cabaret pour la satire. Il faut dire qu’avoir choisi aujourd’hui Pierre Guillois pour metteur en scène (Les gros patinent bien pour mémoire récente), le dérapage incontrôlé était assuré qui ne les ménage guère dans ce show vitaminé vu des coulisses où entre deux changements de costumes et prises de bec, la vie prend le dessus avec ses hauts et ses coups-bas. Oui ça dérape sévère et joyeusement sur le plateau, avec une énergie de dingue, pour le bonheur d’un public hilare, pris parfois pour cible lui aussi. Elles font tout péter, jusqu’au quatrième mur, se moquant en chansons fort bien troussées d’elles même, de leurs états d’âme et d’un music-hall qui n’en a guère. Elles sont les vagabondes que décrit si bien Colette qui toujours, malgré la fatigue et l’âge qui avancent sournoisement, sur le métier remettent leur ouvrage sans rien céder à l’exigence de leur art avec une liberté frondeuse et une belle insolence. Et c’est bien ça qui est magistralement évoqué, chanté et dansé, cet amour inconditionnel du music-hall, jusque dans ces emmerdes, et cette amitié qui semble indéfectible et fait le sel et le poivre de ce trio unique en son genre.
© Marie Vosgian
Les Sea Girls. Dérapage, conception de Pierre Guillois, Judith Rémy, Prunella Rivière et Delphine Simon
Mise en scène : Pierre Guillois
Avec : Judith Rémy, Prunella Rivière et Delphine Simon
Guitare : Dani Bouillard
Percussions : Vincent Martin
Piano : Benjamin Pras
Chanson et mélodie : Prunella Rivière
Composition et orchestration : Fred Pallem
Direction vocale : Lucrèce Sassella
Costumes et scénographie : Elsa Bourdin
Maquillage : Vichika Yorn
Son : Joël Boischot
Lumière : François Menou
Création visuelle : Cat Gabillon
Constructrice : Aurélie Riffault
Photo : Marie Vosgian
Rgie générale plateau : Ingrid Chevalier
Régie lumière : Michel Gueldry
Du 17 janvier au 23 février 2025, à 19h
Dimanche à 15h
Relâche le lundi
Durée 1h30
La Scala
13 bd de Strasbourg
75010 Paris
Réservations : www.lascala-paris.fr
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