© François Vila
ƒƒ article de Nicolas Brizault
Les règles du savoir-vivre dans la société moderne. Oui, dans cette petite salle du Studio Hébertot, nous sont offertes les bonnes voies de la bienséance, de la bonne éducation, sans lesquelles nous serions plus que perdus. Ce texte écrit par Jean-Luc Lagarce en 1994, un an avant sa mort, est issu d’une mine de bonnes manières, mine rédigée à la plume en 1889 par la baronne Staffe et à laquelle Jean-Luc Lagarce a eu l’évidente intelligence d’y remettre plus de clarté encore, et comment dire… plus de sérieux si possible pour que les âmes du XXe puis du XXIe siècles n’aient plus aucune excuses concernant les voies pures et obligatoires entourant notre naissance, baptême, fiançailles, le tout jusqu’au mariage puis, hélas (?), nos funérailles.
Sophie Paul Mortimer est pour nous une femme un peu déchaînée, ou bien si sérieuse que de temps en temps elle glisse, nous expose toutes ces multiples voies à suivre. Pas question d’écart, d’oubli, de renoncement. La vie un point c’est tout, sans oublier la mort, cela va de soi. Ce texte maquille ici ou là son austérité mensongère grâce à de fins décalages illuminés, des glissements, des étalements. Des écrasements. Le talent de Lagarce, à travers ce déballage gigantesque de l’austérité rigide et souhaitée de l’existence, dément profondément ce qui y est énoncé. Il suffit d’écouter, de se laisser prendre et tirer vers le bas pour s’apercevoir combien la vie est belle, vraiment, pour se demander pourquoi des murs de béton ont cherché ou cherchent encore à tout foutre en l’air. Pour se faire plaisir, comme ça. Pourquoi tout peindre en rose vif quand le gris sale est mille fois plus sympathique et entraînant ! Et beaucoup moins féroce et dangereux.
Les règles du savoir-vivre dans la société moderne rendent toujours curieux sur la façon de les mettre en scène, comment, quand, pourquoi. Sophie Paul Mortimer et Roger-Daniel Bensky ont mis toutes ces Règles en scène, édulcorant plus encore l’austérité. Le résultat est sympathique, cette dame demie folle rebondit, de temps en temps, ici où là, comme ça, pour faire croire que, oublie – quelques petits glissements dans le jeu, oui, un peu, et sans doute pas toujours exprès mais cela passe comme une lettre à la poste, affranchi d’un immense sourire – , chante et danse… Mais elle sait rester sérieuse puisqu’elle « transmet » après tout ! La scénographie archi simple colle parfaitement à ce texte et à ce jeu. Un canapé, un verre d’eau, un costume superbe, en plusieurs « temps », si l’on peut dire. C’est amusant, joyeux, on se laisse prendre et du coup l’oreille devient plus attentive, perçoit et reconnaît le bien et le mal, le oui et le non, les volontés de Lagarce à nous faire ouvrir les yeux ? Sophie Paul Mortimer est charmante. Cependant l’austérité revue peut parfois finir par peser très légèrement ici où là. D’autres virevoltes hargneuses auraient pu être inventées pour plus encore de trouble ? Plus de folie fruste ou double dans la danse et pourquoi pas un terrible écran de sérieux noir ici ou là ? On a l’impression qu’il faut absolument mettre un peu de rire dans ce texte de Lagarce pour l’entendre. Curieux. La solitude est finalement lourde ici, après avoir été emportés dans un swing étrange nos pas retombent – délicatement mais certainement – sur le sol.
© Richard Baltauss
Les règles du savoir-vivre dans la société moderne, de Jean-Luc Lagarce
Mise en scène de Roger-Daniel Bensky
Concepteur de la lumière Gérald Karlikow
Élaboration du costume Gaëlle Lépinay
Avec Sophie Paul Mortimer
Du 1er octobre 2019 au 7 janvier 2020
Les lundis et mardis à 21 h
Studio Hébertot
78 bis Boulevard des Batignolles
75017 Paris
T+ 01 42 93 13 04
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