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Les Raisins de la colère, de John Steinbeck, adaptation et mise en scène de Hugo Roux, au Théâtre 11, Festival d’Avignon OFF

Juil 05, 2024 | Commentaires fermés sur Les Raisins de la colère, de John Steinbeck, adaptation et mise en scène de Hugo Roux, au Théâtre 11, Festival d’Avignon OFF

 

© Christophe Raynaud de Lage

 

ƒƒƒ article de Sylvie Boursier

On se croirait dans La route, ce roman post apocalyptique de Cormac McCarthy et qui suit la fuite d’un père et de son fils dans la crasse et la poussière, sous la menace permanente des survivants, vivre avant tout, pour rejoindre le sud et un avenir.

Sur le plateau des Raisins de la colère, le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle, grisaille sans lumière, terre quasi dépeuplée de ses espèces animales et végétales, pluies glaciales. Un cauchemar de chaque instant, on devine les immenses plaines de l’Oklahoma de la zone industrielle à la forêt, qui nous plongent dans le marasme de la famille Joad, abandonnant ses terres ravagées par les tempêtes de sable et convoitées par les grandes firmes bancaires, dépensant jusqu’à son dernier « dime » pour migrer vers la Californie, une terre promise, qui ne révèlera que désillusions et exploitation économique et humaine.

Hugo Roux a couvert la scène de cette terre asphyxiée gris marronnasse, un gravillon de remblais archi sec avec une sorte de carcasse pelée en forme de station-service, comme on voit dans ces villages fantômes le long de la Route 66 aux Etats Unis. On suit les Joad dans leur exode, de station en station, avec une condensation très réussie du metteur en scène autour des scènes emblématiques du roman de Steinbeck : le départ, les premiers morts, le ramassage des oranges, l’installation dans le campement de transit, jusqu’à la magnifique scène d’allaitement entre une mère qui a perdu son enfant et un vieillard qui meurt de faim. Des morts, toujours des morts, pas de maison, pas de travail mais on tient bon, on continue d’y croire, même si on se dit que tout cela n’est pas normal, vraiment. Que peut-on faire d’autre ?

On ressent tout grâce à ces comédiens magnifiques. Ils donnent au spectacle un souffle épique shakespearien. Être ou ne pas être disait Hamlet, ici c’est plutôt être et n’être rien, être une merde, être un connard, un « salaud de pauvre » comme disait Audiard. L’humiliation est pire que la faim ou le froid, pour les possédants ces gens sont des rats, des cloportes. Les acteurs donnent à ces humiliés la grandeur des héros de Shakespeare avec leur phrasé de bouseux.

Valérie Blanchon est une mère courage exemplaire, Lauriane Mitchell est exceptionnelle en fille aînée christique. Edouard Sulpice est bouleversant dans sa dégaine butée et ses rêves d’être garagiste dans une vie normale. Hugues Duchêne compose un fils aîné plein de bruit et de fureur rentrée. Il nous avait régalé avec sa saga de dix heures sur l’accession d’Emmanuel Macron au pouvoir Je m’en vais mais l’état demeure.

On parcourt la pièce comme on tourne les pages du livre de Steinbeck, d’une traite, complétement happés par la puissance de la langue et l’épaisseur des personnages, tiraillés entre la survie et la révolte. On en ressort avec des images inoubliables, le corps à corps entre Tom et le propriétaire terrien, la ronde des esclaves ramasseurs de fruits, les brimades, les crachats, les quolibets mais aussi la naissance d’un sentiment collectif et ce magnifique don d’une fille mère qui donne la vie à un vieillard.

Après Leurs enfants après eux, Hugo Roux poursuit en beauté sa geste politique sans surcharge, sans déformation de l’œuvre pour coller à l’actualité, grâce lui soit rendue. Un grand texte, de grands comédiens, une mise en scène haletante, Courrez-y !

 

© Christophe Raynaud de Lage

 

Les Raisins de la colère de John Steinbeck

Traduction Marcel Duhamel et Maurice-Edgar Coindreau, Éditions Gallimard

Adaptation et mise en scène : Hugo Roux

Collaboration artistique : Ferdinand Flame

Scénographie : Juliette Desproges

Lumière et régie générale : Hugo Fleurance

Son : Camille Vitté

Costumes : Louise Digard

Avec Valérie Blanchon, Hugues Duchêne, Karl Eberhard, Alexia Hebrard, Lauriane Mitchell, Mickaël Pinelli, Jean-Yves Ruf, Edouard Sulpice

 

Durée : 2h

Jusqu’au 21 juillet à 22h30, relâche les 8 et 15 juillet 2024

 

Théatre 11

11 boulevard Raspail

84 000 Avignon

www11avignon.com

 

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