© Sebastien Mathe
ƒƒƒ Article de Denis Sanglard
Laurent Pelly signe une mise en scène radicale des [Les] Puritains de Bellini, d’une épure sèche, implacable de rigueur, remarquablement stylisé. Rien du contexte historique, à peine quelques signes que sont les costumes dans une évocation simplifiée de leur époque, c’est sur la folie d’Elvira que porte son regard aigu. Le plateau est ainsi un espace mental, celui de notre héroïne, prisonnière et victime d’un système politique clivé, des conventions morales de son époque, encagée en sa folie. La scénographie volontairement graphique de Chantal Thomas est un château dont il ne reste que la structure, carcasse symétrique et tranchantes, sombre et métallique, parcourue de long en large par notre héroïne qui ne cesse de se cogner aux barreaux de cette structure infernale, mouvante, un château démantelé au long de cette mise en scène, laissant bientôt le plateau nu, dépouillé de tout appareil scénographique, nimbé de couleurs froides, éclairages subtils et somptueux signés de Joël Adam. Et dans cet espace austère, quasi carcéral, aliénant, menaçant même, c’est toute la musique de Bellini, le chant porté par ses interprètes, qui s’engouffre en majesté, en force, avec tout son lyrisme ainsi exacerbé et mis à nu. C’est cette partition frappante par ce qu’elle dégage où le fond et la forme ne font qu’un dans l’expression des sentiments les plus versatiles et profonds qui est mise en scène plus que le livret lui-même dont la véracité historique importe peu. Laurent Pelly s’attache ainsi davantage aux couleurs profondément dramatiques, à l’atmosphère singulièrement violente et tourmentée de cet opéra, à la psyché tourmentée de ses personnages, porté par la musique dont il extrait sur le plateau, par contraste et dans une abstraction volontaire, la forte expressivité.
Et pour ce faire il faut des interprètes qui porte haut cette mise en scène qui les dépouille de tout artifice dramaturgique pour se concentrer et transcender le chant, s’appuyer sur lui, devenu l’enjeu dramatique et le cœur de la mise en scène. Et ce que à quoi nous avons assisté lors de cette soirée fut de l’ordre de l’exception. Pas un air qui ne fut applaudi à peine fini, une salle transportée et sidérée par ce qui sur le plateau advenait, des interprètes au sommet. A commencer par Lisette Oropesa. Une diva assoluta, vraiment, qui s’empare de ce rôle avec un engagement sans faille, une vérité troublante, portant Elvira aux confins d’une folie qui se refuse au spectaculaire, à l’expressionisme ou l’histrionisme, pour n’être que dans l’expressivité pure de son chant, dépouillé de toute afféterie et qui vous tétanise par ce qu’elle révèle et recèle de souffrance inconsciente. Le choc est grand, l’émotion dans la salle palpable. Et les moyens vocaux de la soprano stupéfient. Aisance dans les aigus aériens comme dans les vocalises déroulées sans effort apparent, piani effilées, souffle maîtrisé. A chacune de ses apparitions, qui la voit s’enfoncer davantage dans ce cauchemar, de plus en plus absente à elle-même, la salle, suspendue, semblait retenir son souffle. Lawrence Brownlee (Arturo) fut au diapason de sa partenaire, d’une complicité évidente qui semblait dépasser le cadre même de cet opéra. Il y a des gestes qui ne trompent pas, qui échappent aux personnages incarnés, voire aux chanteurs eux-mêmes et qui sont une valeur ajoutée à toute représentation. Passé une première apparition où le souffle semblait manquer, le trac sans doute, son chant d’une grande clarté et d’une belle élégance, augmenté d’une sensibilité dramatique réelle, emportait à son tour le public.
Andrii Kimach (Ricardo), est le rival idoine. Voix sombre et profonde mais il manque à ce baryton une aisance scénique qui le voit plus souvent appliqué, ne se départissant pas d’une certaine raideur que compense malgré tout un chant à la hauteur du rôle. La basse Roberto Tagliavini (Sir Giorgio) a littéralement soulevé la salle. Par la beauté de son chant, d’une voix d’une grande profondeur et d’une vraie générosité, alliés à une présence scénique qui doit autant à un charisme évident qu’une composition dramatique tout en subtilité. Signalons au passage l’air incontournable entre Sir Giorgio et Riccardo, suani la tromba, qui fut l’occasion ici et sur ce plateau soudain nu une séquence exceptionnelle où deux artistes, entraînés l’un par l’autre, en complicité étroite, offrent au public sidéré une émotion indescriptible. Vartan Gabrielian (Valton), Manase Latu (Roberton), Maria Warenberg (Henriette de France), complètent avec talent, vocalement et dramatiquement, cette distribution de haute-volée. Dans la fosse, Corrado Rovaris déroule la partition de Bellini avec nuance et précision, veillant à l’équilibre des contrastes d’une partition qui n’en manquent pas. Les chœurs de l’Opéra de Paris dirigés par Chieng-Lien Wu sont encore une fois d’une grande tenue. Cette deuxième reprise, puisque s’en est une (cette production date de 2013, rejouée en 2019), se justifie pleinement, au-delà de sa beauté, par sa cohérence dramaturgique entièrement dévolue à la partition de Bellini dont elle révéle le sens profond et sa capacité intrinséqu et sans artifice à provoquer l’émotion la plus pure.
© Sebastien Mathe
Les puritains, opéra de Vincenzo Bellini
Livret de Carlo Pepoli
Direction musicale de Corrado Rovaris°
Mise en scène et costumes de Laurent Pelly
Respnsable de la reprise : Christian Räth
Décor : Chantal Thomas
Lumières : Joël Adam
Cheffe des chœurs : Ching-Lien Wu
Orchestre et chœur de l’Opéra national de Paris
Avec : Vartan Gabrielian*, Roberto Tagliavini, Lawrence Brownlee, Andrii Kymach, Manase Latu*, Maria Warenberg*, Lisette Oropesa
°début à l’Opéra national de Paris
*membre de la troupe lyrique de l’Opéra national de Paris
Décor et costumes réalisé par les ateliers de l’Opéra national de Paris
Les 6, 9, 12, 15, 18, 21, 24, 27 février 2025
Les 2 & 5 mars 2025
14h30 & 19h30
Opéra Bastille
Place de la Bastille
75012 Paris
Réservations : www.operadeparis.fr
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