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Les Précieuses ridicules, de Molière, mise en scène de Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux, Comédie Française/Vieux-Colombier

Avr 02, 2022 | Commentaires fermés sur Les Précieuses ridicules, de Molière, mise en scène de Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux, Comédie Française/Vieux-Colombier

 

© Vincent Pontet, coll. Comédie-Française

 

ƒƒ article de Denis Sanglard

A quoi rêvent les jeunes filles ? Ces précieuses ridicules-là ne souhaitent qu’une chose, « en être ». Oui mais, pas si simple quand on ne possède ni la culture, ni les codes d’un monde qu’on souhaite à tout prix intégrer. On a beau faire d’un appartement un squat qui se voudrait artistique, se piquer de titiller les muses en massacrant poésie et peinture, engager une batteuse pour servante, tout ça sent la copie, le toc, plus cheap que chic. Et quand débarque envoyés par des amants éconduits pour ne pas être à la mode et user de galanterie deux énergumènes, valets se prenant pour marquis et vicomte, avec les mêmes rêves d’ascension, se croyant dans ce salon enfin parvenu à « en être » eux aussi, la farce devient tragique et la désillusion, l’humiliation devant la réalité au final dévoilée, cruelle.

Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux mettent en scène Les Précieuses ridicules avec une bonne dose de modernité. Mieux même, ils se permettent, on imagine d’ici les réactions des puristes grinçant des dents, de réécrire une partie des dialogues. Si Magdelon, Cathos, Mascarille et Jodelet usent du vocable précieux, ou qui se voudrait tel, La Grange et Du Croisy les deux jeunes aristocrates, de même que Marotte parlent comme vous et moi, une langue bien ancrée dans notre siècle. De fait ne comprennent-ils goutte aux circonvolutions, périphrases et métaphores, néologismes dont usent et se gavent avec gourmandise nos héroïnes. Un dialogue de sourd hilarant qui creuse davantage le ridicule consommé du quatuor définitivement à côté de la plaque. Et point ici de rapport maître-valet, Mascarille est un ouvrier, Jodelet un déménageur. Ce qui compte au fond et qui importe davantage ici c’est leur rêve et leur chimère que la rencontre avec nos provinciales permet de réaliser avant que tout ne s’effondre. Eux aussi soudain s’y croient. C’est un jeu de dupes auxquels chacun s’attache et qui estompe très vite la réalité. Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux pourtant n’accusent pas à outrance la farce. Mieux même, ils offrent à ces quatre-là, perdus dans leurs rêves d’ascension, une belle humanité. Il y a une forme de tendresse pour ces paumés. Oui, on rit beaucoup, mais plus de la situation intenable et de sa résolution dont nous tenons les clefs que des personnages. Et ce qui est dénoncé là, c’est aussi notre société où les réseaux sociaux offrent à chacun l’opportunité et l’illusion d’être au centre d’un monde sans lesquels ils n’auraient pas accès. Une société du paraître où « les gens de qualité savent tout sans avoir jamais rien appris. » Croient-ils et c’est bien là leur erreur. Et Cathos et Magdelon par cette volonté de tenir un salon, de devenir artiste, n’exprime ici rien moins qu’un désir légitime d’émancipation, se libérer du joug d’un père et d’un potentiel mari, que soulignent avec justesse nos deux metteurs en scène. En cela ces précieuses ne sont que l’ébauche maladroite de ce que seront plus tard Les femmes savantes. Séphora Pondi (Magdelon) et Claire de La Rüe du Can (Cathos) ne raillent pas leur personnage, plus naïves et désarmées ici que ridicules, aveuglées par leur chimère, éblouies par un bouffon singeant la préciosité qu’elles prennent pour argent comptant. Jérémie Lopez campe un Mascarille qui se hausse très vite d’importance, se prenant au jeu de sa propre chimère jusqu’à y croire fermement et de basculer dans cette illusion, de traverser son miroir aux alouettes, de faire de cette mascarade une vérité. Et de donner dans l’improvisation d’un madrigal d’une nullité parfaite une performance musicale hallucinante, le clou de son numéro de cabotin mondain. Alors que Noam Morgensztern fait de son Jodelet un personnage dépassé par ce rôle et pour le coup à côté de ses pompes. Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux n’oblitère pas le comique de cette pièce mais ils en débarrassent les scories rebattues de la farce pour en dévoiler les subtilités et donner à ses personnages, loin de toute caricature, une véritable épaisseur. C’est moins le ridicule qui les tue ici que ce désir profond de parvenir à exister. Et la toute dernière image, après la révélation de cette comédie amère, démontre la pugnacité qui tenaille Magdelon à ne pas renoncer. Et c’est tout simplement bouleversant.

 

© Vincent Pontet, coll. Comédie-Française

 

Les Précieuses ridicules de Molière

Mise en scène de Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux

Avec la troupe de la Comédie-Française

Stéphane Varupenne, Jérémy Lopez, Sébastien Pouderoux, Noam Morgensztern, Claire de La Rüe du Can, Séphora Pondi

Et Lola Frichet, Edith Séguier en alternance

Scénographie : Alwyne de Dardel

Costumes : Gwladys Duthil

Lumières : Kévin Briard

Musique originale : Vincent Leterme

Arrangements musicaux : Vincent Leterme, Stépahane Varupenne et Sébastien Pouderoux

Assistanat à la mise en scène : Aurélien Hamard-Padis

 

 

Du 29 mars au 8 mai 2022

Le mardi à 19 h

Du mercredi au samedi à 20 h 20

Le dimanche à 15 h

 

Durée 1 h 15

 

 

Théâtre du Vieux-Colombier

21 rue du Vieux-Colombier

76006 Paris

 

Réservations www.comedie-française.fr

 

 

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