© Christophe Raynaud De Lage
ƒ article de Paul Vermersch
Les messagères ouvre la saison du Nouveau Théâtre Populaire en ce début d’automne 2024. Reprenant l’Antigone de Sophocle, Jean Bellorini vient proposer ici une adaptation singulière en faisant porter la partition du mythe à neuves jeunes femmes afghanes issues du collectif Afghan Girls Theater Group, installé à Lyon depuis 2021.
La proposition à laquelle on assiste dans ce spectacle repose principalement sur un principe de résonance : par un entrelacement de scènes issues directement du mythe et de prises de paroles poétiques, il vient créer un système d’échos, qui tout en retraçant les grands moments du mythe classique donne à penser la situation politique afghane actuelle.
Ce qui vient tout de suite frapper, c’est le travail autour de la polysémie du texte, dont le sens reste toujours très ouvert. Joué en dari, le mythe d’Antigone nous parvient par sous-titre dans une langue dépouillée, à nue, et qui, à bien des moments, semble retracer davantage la situation en Afghanistan que l’histoire très connue des Labdacides. Porté par ces femmes, et par ce texte volontairement ambigu, le propos tombe à l’endroit de l’actualité, et les scènes auxquelles on assiste perdent ce qu’elles ont de classique pour venir nous faire réfléchir très concrètement sur les enjeux politiques d’un régime autoritaire et aveuglé. Cette polysémie textuelle est renforcée par des choix de mise en scène très astucieux, qui rendent compte du caractère total de la figure de pouvoir, de la soumission tacite et passive à un ordre installé. Au plateau, les décrets sont fait par messes basses, dans le murmure, la cour végète, a peur, incapable de se révolter contre le pouvoir établi. Le spectateur avance ainsi dans la fable, installé dans cette résonnance, qui vient tisser un lien étroit entre la tradition théâtrale classique et la plus contemporaine des actualités.
Ceci dit, la forme présente certaines contradictions dans le choix de sa théâtralité, et le propos se brouille parfois dans des propositions qui ne semblent pas encore tout à fait tranchées. La direction des comédiennes opère à des endroits très différents : des personnages comme le roi Créon ou le Messager, semblent venir explorer une esthétique de jeu en lien avec la composition (les personnages viennent chercher des traits caricaturaux, on sent le travail d’une certaine physicalité, le spectateur a accès au caractère artificiel du jeu), et au contraire, d’autres figures comme Antigone ou Hémon se dessinent de manière beaucoup plus simple, dans un jeu très droit, très frontal, presque formel. Si ce frottement entre des choix de direction très marqués pourrait, dans l’idée, venir mettre en avant les différentes caractéristiques des personnages, on le reçoit davantage comme une indécision, un traitement théâtral qui vient isoler les figures les unes des autres, et les discrédite un peu. De même, le rapport à la frontalité et au public paraît parfois choisi un peu arbitrairement. On passe de la scène à la scansion pour venir chercher une frontalité très assumée (qui a tout à voir avec le caractère prophétique de la pièce, l’aspect mythique des personnages, etc.), mais qui finalement se résout de manière un peu convenue et pas toujours nécessaire.
Cette frontalité joue un rôle dans une autre recherche qui a l’air d’être au travail dans ce spectacle, celle de la représentation d’une certaine forme d’héroïsme. Dans le jeu on sent la mise en place de figures très droites, très ancrées, avec un rapport au texte parfois hiératique qui devient très adressé. On perçoit la volonté de vouloir rejoindre les personnages aussi dans ce qu’ils portent de mythologique en eux/elles, ce qui donne lieu à de très beaux tableaux, accompagnés par cette pleine lune centrale gigantesque, et son reflet dans le plan d’eau. Des scènes de déambulations autour de ce bassin ponctuent aussi le spectacle de moments plus oniriques, construisent une atmosphère particulière qui nous suit tout du long. On est à l’endroit du mythe, l’endroit du rêve.
© Christophe Raynaud De Lage
Les messagères, d’après Sophocle
Mise en scène par Jean Bellorini
Collaboration artistique d’Hélène Patarot, Mina Rahnamaei et Naim Karimi
Lumières : Jean Bellorini
Création sonore : Sébastien Trouvé
Adaptation de Mina Rahnamaei
Traduction des surtitres Mina Rahnamaei et Florence Guinard
Construction des décors et confection des costumes les ateliers du TNP
Avec l’Afghan Girls Theater Group : Hussnia Ahmadi, Freshta Akbari, Atifa Azizpor, Sediqa Hussaini, Shakila Ibrahimi, Shegofa Ibrahimi, Marzia Jafari, Tahera Jafari et Sohila Sakhizada
Production Théâtre National Populaire avec l’aide exceptionnelle de la DRAC Auvergne-Rhône-Alpes – ministère de la Culture
Du 7 au 13 septembre 2024
Salle Roger-Planchon
Du mardi au samedi à 20h, dimanche à 16h, relâche le lundi
Durée 1h45
69100 Villeurbanne
Billeterie : 04 78 03 30 00
www.tnp-villeurbanne.com
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