©  Pierre Nydegger

article de Nicolas Thevenot

Je suis sorti de la MC93 en pensant qu’il y avait erreur sur la marchandise. Intitulé Les Italiens, le spectacle de Massimo Furlan révèle probablement plus le regard que porte la Suisse sur l’histoire de ses migrants, une histoire officielle en quelque sorte, faisant la part belle au travail et au mérite, reléguant au non-dit (comme un non-lieu) ce qu’un pays d’immigration peut imposer de violence (culturelle, psychique…) à ceux qui viennent s’y installer. S’il invite trois retraités émigrés italiens, rencontrés au café du Théâtre Vidy-Lausanne où ils viennent quotidiennement taper leur partie de cartes, s’il leur adjoint trois autres hommes qui ont l’âge d’être les fils des précédents (la seconde génération comme on a coutume de dire), Massimo Furlan ne les accueille pas, et n’a pas créé les conditions sensibles pour qu’un récit puisse se déployer au-delà de l’anecdotique. Le dispositif dramaturgique qu’il crée avec Claire de Ribaupierre, la mise en scène et l’esthétique de ce projet, tout concourt à empêcher l’émergence d’une parole vive, active, qui viendrait nous chercher et nous questionner sur ces sujets éminemment politiques et actuels : les phénomènes migratoires, les identités, les exclusions, les inégalités, la vie intime au prisme de l’histoire politique des peuples, ou vice versa… Pour être tout à fait honnête, faisons exception pour cet homme à la bienveillante et sereine présence, avec un air à la Jacques Nolot, Vicenzo di Marco, qui est le seul, selon nous, à avoir trouvé les moyens de livrer un récit qui lui soit intime et politique à la fois, et qu’un puissant désir porte à l’exprimer.

Les Italiens, à l’instar de sa première séquence très inspirée par le cinéma de Fellini et Nino Rota, est une illusion. S’il revêt cette esthétique du rêve, ce qu’on ne saurait reprocher à aucun spectacle, Les Italiens avance, sous couvert de théâtre documentaire, de prise de parole d’acteurs non professionnels, les pions d’une histoire lénifiante et stéréotypée.

Les Italiens est l’antithèse du magistral spectacle réalisé pour le Théâtre de la Commune en 2014 par Maguy Marin autour de l’histoire des émigrés espagnols dans un quartier d’Aubervilliers nommé depuis La Petite Espagne (Pièce d’actualité N°2 : La casa de España) : économie d’un arte povera pour Maguy Marin quand Massimo Furlan n’hésite pas à faire montre d’effets spéciaux ; questionnement, polysémie et poésie pour Maguy Marin, linéarité et superficialité pour Massimo Furlan. À travers un bout de territoire, à travers les descendants de ces émigrés espagnols, surgissait la mémoire chantée et brisée de la guerre d’Espagne. Quelque chose d’évanescent, de fragile, en train de disparaître. Bien loin d’un roman national, comme celui que nous sert Massimo Furlan.

Mais soyons clairs : il ne s’agit pas de juger de la pertinence et de la valeur d’un témoignage produit sur une scène de « théâtre documentaire », il ne s’agit pas de mettre en procès un vécu mis en partage avec un public, il s’agit en fait d’interroger les conditions de fabrication d’un spectacle qui ont prédéterminé la nature de cette parole autorisée (au sens où cette personne se sentira autorisée, libre d’émettre une certaine parole plutôt qu’une autre) : la lourdeur du dispositif de Massimo Furlan écrase toute possibilité d’une expression intime, singulière et universelle à la fois, comme cela se produisit de façon bouleversante dans le projet de Maguy Marin.

Ici, les retraités sont statufiés en superman, posés rigidement sur le plateau, sommés de témoigner devant un public suisse (puisqu’il s’agissait d’une production du Théâtre Vidy-Lausanne, créée dans ce même théâtre) de la réussite de leur intégration. Mis en scène par un metteur en scène de la seconde génération…

J’eus enfin la désagréable sensation de voir des personnes clouées au pilori d’une identité qu’une majorité leur aurait définitivement assignée.

Les Italiens, conception, mise en scène et scénographie Massimo Furlan

Avec Miro Caltagirone, Giuseppe Capuzzi, Alexia Casciaro, Vincenzo Di Marco, Nadine Fuchs, Silvano Nicoletti, Francesco Panese, Luigi Raimondi

Dramaturgie Claire de Ribaupierre

Lumières Antoine Friderici

Son Aurélien Godderis-Chouzenoux

Direction technique, vidéo et régie Jérôme Vernez

Maquillages Julie Monot

Costumes Anna van Bree

Durée 1 h 30

4 et 5 mars 2020, à 20 h

MC93 — Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis

9 boulevard Lénine

93000 Bobigny

Réservation : 01 41 60 72 72

www.mc93.com

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