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« Les inquiets et les brutes » de Nis-Momme Stockmann, mise en scène d’Olivier Martinaud, au Lucernaire

Avr 13, 2015 | Commentaires fermés sur « Les inquiets et les brutes » de Nis-Momme Stockmann, mise en scène d’Olivier Martinaud, au Lucernaire

ƒ article d’Anna Grahm

 

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Un vieil homme est mort chez lui. Seul. Ses deux fils le retrouvent assis dans son fauteuil. Raide. Leur père les avait pourtant prévenus, avait sans doute pressenti sa fin. Mais les deux frères ont tardé à venir et à présent il est trop tard. A présent ils sont là, devant le cadavre. Indécis, interdits, incapables de se parler, ni de rien ressentir, ni de prendre une quelconque décision. Entre les deux hommes, des années lumières, des montagnes de silence, des océans de regrets.

Qu’est-ce qu’on fait maintenant. Ces deux-là ne savent plus rien l’un de l’autre sauf peut-être ce qu’ils ont été qu’ils ne disent pas. Et les non-dits qui les enchainent font d’eux des brutes, chacun cherchant à se débarrasser de ses inquiétudes, chacun fuyant l’impitoyable réalité qui les met face à leurs impuissances.

L’écriture du jeune allemand Nis-Momme Stockmann tente de redonner vie à une fraternité moribonde. Elle s’ourle d’une violence froide, d’une langue à couteaux tirés, s’entête sur ses personnages englués dans leur solitude, pousse ces nouveaux barbares – qui butent sur les gestes les plus simples – afin qu’ils recommencent à produire de la dignité. Car dans le monde de Stockmann l’ignorance est devenue le seul moteur de l’existence, le dernier appui, l’ultime rempart pour échapper à sa responsabilité. Sans jamais dévoiler la vie du mort, il force ces morts vivants à reprendre contact avec leur humanité.

La mise en scène d’Olivier Martinaud campe ce duel de frères ennemis dans un salon pratiquement vide. Juste un bureau, un matelas, une plante verte. Mais peu à peu la lumière clinique s’assombrit, l’espace se transforme, avance au rythme des ellipses, des phrases jamais finies, des fulgurances. Mais bientôt les lieux se font plus glauques, enfer cauchemardesque rempli de cadavres cachés. Et l’amoncellement de sacs poubelles dérange, convoque d’autres mémoires, suggère – sans jamais rien montrer – les spectres d’une Europe qui avait plongé dans l’horreur.

Les acteurs eux, sont enfermés dans une solitude qui les a mécanisé, qui semble les avoir vidé de leur substance. Pour leur défunt, pas de recueillement, pas de minute de silence, pas de respect. Ils sont pris de court devant l’absence du père, pris à la gorge par la présence de l’autre. Reliés par un passé douloureux, ils vont tout tenter pour se dépêtrer des secrets qui les tourmentent. L’aîné, Daniel Delabesse, avec son autorité tonnante, et le cadet, Laurent Sauvage, avec un embarras désarmant. Mais si sa confusion peut prêter parfois à sourire, si elle tisse entre eux un peu de nostalgie, elle instille pas à pas une dangerosité, renverse les rapports de force afin de tuer cette indifférence qui les plongeait dans une chape de plomb. Et s’ils comprennent qu’ils sont eux aussi en train de mourir, ils savent désormais qu’ils peuvent se battre, non plus entre eux mais pour des valeurs. C’est tout l’enjeu de cette lutte fratricide, qui se dégage du spectacle, apprendre à combattre l’effacement des consciences, et choisir de continuer à vivre. Comme des frères.

 

Les inquiets et les brutes
Texte de Nis-Momme Stockmann
Traduit de l’allemand par Nils Haarman et Olivier Martinaud
Mise en scène Olivier Martinaud
Lumière Éric Wurtz
Scénographie et costumes Charles Chauvet
Son Grégoire Durrande
Dramaturgie Nils Haarman

Avec Daniel Delabesse, Laurent Sauvage et la voix de Claude Aufare

du mercredi 8 avril au samedi 16 mai 2015 à 19h

Théâtre Le Lucernaire
53, rue Notre-Dame des Champs – 75006 Paris
Métro Notre-Dame des Champs
Réservations 01 45 44 57 34
www.lucernaire.fr

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