Lecture de Dashiell Donello –

L’incommunicabilité en marche

« Je brûle cette écriture pour avoir à écrire demain‚ le sang et l’encre se jumellent‚ j’écris sur le sang et l’encre par-dessus les nuages violacés et le surlendemain il me faut brûler cette écriture pour apprendre à écrire demain‚ le sang et l’encre les arbres se cassent et j’ai sur la gueule l’estomac du voisin haché par les largages des hélicoptères‚ les entrailles de cette femme‚ j’écris sur la cervelle du voisin avec les entrailles de cette femme‚ à l’intérieur de ma chemise blanche violacée par l’encre et le sang et je noie la cervelle et les entrailles dans la rivière pour brûler cette écriture afin de pouvoir écrire demain… »

Cet extrait tiré du livre Les Inepties volantes de Dieudonné Niangouna, publié aux éditions Les Solitaires Intempestifs, nous donne la profondeur, la densité et l’incandescence d’un être à fleur d’écrit, à fleur d’encre ensanglantée, qui dans l’urgence détruit ce qu’il a écrit pour écrire encore… Pour apprendre à retenir l’innommable, pour  témoigner demain ce qui ne peut s’exprimer dans l’action de survivre… Pour brouiller les écrits comme on brouille une piste, pour vivre comme personnage principal, hormis l’horrible, dans le spectacle de la guerre… Dieudonné Niangouna nous disait même durant le festival d’Avignon lors de la conférence de presse du 9 juillet : « c’est beau ! », mais quoi, de voir que son Gongo violé est le  terrain d’affrontement entre deux milices rivales, les  cobras et les Nindjas,  qui jouent dans un théâtre armé pour de vrai, en treillis improbables dans le décor mortifère de Brazzaville, avec des personnages qui ont des noms de héros de fictions, mais qui tuent si on lit, écrit, ou bien pis encore si l’on est intelligent, ce qui sort de la mémoire de l’auteur coule par des longues phrases, sans point d’interrogation, avec une prose qui commence toujours par trois points de suspension, et qui se termine par les mêmes trois points de suspension, le fait de suspendre son écriture, le met dans l’interdit, alors il faut qu’il transgresse son effroi et écrive avec un bout de stylo, à l’intérieur de sa chemise, ce qui reste encore de lumière dans son corps transi par la vision de l’horreur, et d’interrompre  l’affirmation de ce qu’il vit comme une apnée de secours, ce qui ne doit pas être dit explicitement, comme le disait Bachelard… «La guerre ne se raconte pas, les mots de la guerre ne sont pas la guerre, car la destruction n’a ni début ni fin, les mots c’est mon argile, j’écris comme un potier », nous dit encore, avec un débit rapide, Dieudonné Niangouna rescapé de cette tragédie humaine, et persuadé de n’être qu’un lâche faute d’être un héros mort au combat… Mais qu’il se rassure, ce qui vient de sa mémoire est une pure sève du verbe, un effroyable poison contre les inepties militaires, un antidote au crime, une boisson fraîche d’un théâtre politique trop rare aujourd’hui, narré dans une langue universelle,  où chacun  peut se comprendre dans une Babylone nouvelle,  tel le phénix renaît de ses cendres son écriture renaît  d’une encre martyrisée, immédiate, fringuée, tirée à quatre épingles comme les sapeurs de son Gongo natal qu’il taquine gentiment,  issue naguère de l’enfer guerrier Dieudonné Niangouna  est entré aujourd’hui par la grande porte de la littérature Africaine…

…Après les Beaux-Arts à Brazzaville, Dieudonné Niangouna s’oriente vers le théâtre, comédien, auteur, metteur en scène et directeur du festival international de théâtre Mantsina sur scène à Brazzaville, sa ville natale, en plein conflit civil, il fonde avec son frère Criss la compagnie Les Bruits de la rue pour témoigner de l’horreur de la guerre…

…PS : Cet article est volontairement écrit à la manière de l’auteur pour le plaisir que nous a donné la lecture de ce livre…

Les Inepties Volantes
De Dieudonné Niangouna

Editions Les Solitaires Intempestifs
1 rue Gay-Lussac, 25000 Besançon
www.solitairesintempestifs.com

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