À l'affiche, Critiques // Les Hérétiques, de Mariette Navarro, mise en scène de François Rancillac, Théâtre de l’Aquarium

Les Hérétiques, de Mariette Navarro, mise en scène de François Rancillac, Théâtre de l’Aquarium

Nov 26, 2018 | Commentaires fermés sur Les Hérétiques, de Mariette Navarro, mise en scène de François Rancillac, Théâtre de l’Aquarium

 

© Christophe Raynaud de Lage

 

ƒƒ Article de Corinne François-Denève

Dans l’obscurité qui peu à peu gagne la salle, une femme se lève. Comment faire avec ces injonctions contradictoires de la société moderne, qui pense laïcité, mais est travaillée par le religieux, refuse ceci, impose cela, surtout aux femmes ? La femme debout marche droit devant elle, vers le plateau : le théâtre sera le lieu de la résolution, ou à tout le moins de la discussion. On ne sait si la scène représente une église en ruines, ou reproduit une « classe morte » à la Kantor. Tout est gris, pulvéreux, indistinct. Là, devant nous, trois silhouettes se dressent : inquiétantes, méfiantes, sardoniques. Des militantes ? des Femen ? des sorcières ?  Ces « weird sisters » accueillent avec peu d’enthousiasme cette impétrante exaltée et sûre d’elle : l’heure est à l’action, directe.

Le débat, le sabbat, durera donc près de deux heures : deux heures où la femme debout sera soumise à la question, à la contradiction, à la tentation. On met à nu les apories de la République : les femmes ont le droit de se vêtir comme elles veulent, surtout à la plage ou à la piscine. Sauf si elles veulent se vêtir trop, et dans ce cas, on les oblige à se déshabiller. Le théâtre est ici le medium parfait pour soutenir une réflexion sur  l’ostentatoire, l’ostensible ou l’obscène. A côté de ces « hérétiques », soumises à toutes les tortures, et prêtes à torturer, par habitude, surgit parfois, telle une diablesse jaillie de sa boîte, une Sainte Blandine illuminée, irradiant de bonté, de grâce et de martyre confiant. L’hérétique et la sainte semblent être deux versions de la même passion – tout est question de contexte.

D’une commande d’écriture proposée par François Rancillac, Mariette Navarro tire un texte qui s’emploie à balayer l’ensemble des paradoxes du temps quant au « fait religieux ». Elle le fait sans manichéisme, tentant même, pour désamorcer un propos qui pourrait être didactique, ou provocateur, ou problématique, des incursions dans l’humour. Le jeu semble pour l’instant encore un peu incertain, et le public lui-même encore un peu timide : rire de tout, de la religion, des sorcières, cela ne semble pas une évidence pour toutes ou tous. La scénographie, il faut le dire, impose le respect : un magnifique travail sur le clair-obscur et les nuances de gris, qui projettent les spectateurs dans une féérie de l’ancien temps, ou directement dans les gravures de William Blake, ou les dessins de Victor Hugo. Les effets sonores sont semblablement soignés. Enfin, les sortilèges et les sorts sont formidablement rendus par la « magie nouvelle » de Benoît Dattez. Tremble, public, les sorcières sont dans la place.

La mise en scène de François Rancillac revient à la simplicité du théâtre forain, ou de ces spectacles improvisés qu’étaient les procès ou les exécutions : une place, un lieu de parole, quelques échappées. Elle se met au service d’un texte bienvenu, qui ne manque pas de susciter débats et questions, une fois la lumière, ou les Lumières revenues. Obscurité, obscurantisme… Tout semble faire symbole, de façon fine et intelligente. Et on se demande si le théâtre, ce plateau peu catholique, ne vaudrait pas mieux que tous les plateaux cathodiques lorsqu’il s’agit d’aborder les « questions de société ».

 

© Christophe Raynaud de Lage

 

Les Hérétiques de Mariette Navarro

Mise en scène de François Rancillac

Avec Andrea El Azan, Christine Guênon, Yvette Petit, Stéphanie Schwartzbrod, Lymia Vitte

Scénographie Raymond Sarti

Costumes Sabine Siegwalt

Lumière Guillaume Tesson

Son Tal Agam

Assistante-stagiaire à la mise en scène Alexandra Maillot

Travail chorégraphique Marion Lévy

Illusion et magie Benoît Dattez

Maquillage et coiffures Catherine Saint-Sever

Réalisation des costumes Séverine Thiébault

Construction du décor Eric Den Hartog et Mustafa Benyahia

Peinture du sol Anaïs Ang assistée de Nathalie Nöel

 

Durée : 1 h 50

 

Du 14 novembre au 9 décembre 2018

Du mardi au samedi à 20 h, le dimanche à 16 h

 

Théâtre de l’Aquarium
La Cartoucherie
Route du Champ de Manœuvre
75012 Paris

 

Réservations : 01 43 74 99 61

http://www.theatredelaquarium.net

 

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