Critiques // « Les Helvètes ! » par La Manufacture de Lausanne à la Tempête / Festival des Écoles

« Les Helvètes ! » par La Manufacture de Lausanne à la Tempête / Festival des Écoles

Juin 25, 2010 | Aucun commentaire sur « Les Helvètes ! » par La Manufacture de Lausanne à la Tempête / Festival des Écoles

Critique de Bruno Deslot

Parmi les quatre spectacles accueillis à la Cartoucherie dans le cadre du Festival des écoles du théâtre public, en invité européen, la Manufacture de Lausanne a répondu présente à l’appel et propose un spectacle aussi déconcertant que singulier, Les Helvètes !

Seize personnages en quête d’identité

© Aline Paley

En partant de leurs improvisations, seize acteurs ont produit une création théâtrale ayant pour sujet la Suisse, son histoire et sa mythologie. Il ne s’agit pas d’un travail d’archives qui consiste à exhumer les restes d’une histoire commune mais plutôt d’en explorer les résonances dans l’imaginaire collectif et bien au-delà des stéréotypes ou des récits dithyrambiques qui font de la Suisse une énigme à jamais résolue. Les héros de la pensée du pays sont convoqués en tant que figures historiques et permettent de construire le nœud de la narration d’une fable bien singulière. Confédération suisse ou helvétique ? La question demeure sans réponse pour ces jeunes acteurs qui s’attellent à une série d’interrogations, de mises en abyme, de logorrhées parfois interminables trouvant leur style dans un cynisme d’une élégance toute particulière, relayé par un sens de l’absurde maîtrisé d’une main de maître par des comédiens d’un professionnalisme confondant.

Les Helvètes ! un titre qui intrigue et l’on comprend vite ce pourquoi il a été choisi. Un ensemble de peuples celtes établis à l’origine en Wurtemberg d’où ils émigrent pour emprunter la longue route qui les mèneront jusqu’à leur actuel territoire largement dominé par la France, après l’invasion de l’armée napoléonienne en 1798, qui réforme la Suisse en la transformant en un Etat unitaire appelé République helvétique qui ne dure cependant que quelques années ! Il faudra attendre 1815 pour voir la création d’un Etat de 22 cantons, reconnu comme neutre par « l’Acte de reconnaissance de la neutralité perpétuelle de la Suisse » rédigé par Charles Pictet de Rochemont et signé lors du congrès de Vienne. Aujourd’hui, constituée de la fédération de 26 cantons, Schweiz, Svizzera, Svizra ou plus simplement la Suisse, en français dans le texte, investit la plateau de la Tempête pour mener tambour battant une proposition osée, juste et ambitieuse.

© Aline Paley

Ces héros qui ont fait l’histoire !

De part et d’autre de la scène, debout entre des rangées de rampes d’éclairage, les comédiens se tiennent prêts à intervenir. L’aire de jeu est rapidement investie par une jeune fille vêtue de blanc, au rire hystérique qui, dans une course répétée, tente de s’envoler ! Rapidement, l’intervention inattendue de cette illuminée est interrompue par un homme qui lance le débat sur le fondement même de cet acte ! Voler, tout simplement voler, et non de ses propres ailes mais à l’aide d’une armature faite de sacs poubelle ! Puis arrive Max Frisch, pipe à la bouche, mains appuyées sur une table, partant dans des digressions sur le train, l’achat d’un twix et l’idée de s’appartenir ou non ! Qu’il le fasse à la Baudrillard ou à la Frisch, la richissime blonde de Zurich préfère montrer ce que contient son seau ! Les répliques fusent, cinglantes et acerbes, atteignant leurs cibles et plaçant le public dans une situation très déstabilisante… Puis, le ton étant donné, la complicité installée, chaque personnage faisant irruption sur la scène depuis la coulisse ménagée derrière les rampes d’éclairage, étonne, intrigue et additionne les interrogations que les protagonistes ne cessent de soulever. Ferdinand de Saussure sort de sa boîte et alimente le discours sur la distinction entre langage, langue et parole, entre synchronie et diachronie, caractère arbitraire du signe linguistique etc…Les premières pierres de l’édifice sont posées et le spectacle se poursuit dans une ambiance tonitruante ou un chassé-croisé entre la quête d’une histoire commune, en deçà de tous ce qui peut opposer les personnages les uns aux autres, et l’acte de création, s’opère bon gré mal gré. Comme cette femme qui avoue ne rien comprendre au discours de Frisch et affirme que les ouvriers n’ont pas de cancer car ils n’en ont pas les moyens ! Et pourtant, celle qui a le cul usé par la dorure porte une belle tumeur cancéreuse au cou ! Pas de déterminisme donc !

© Aline Paley

Et ce jeune homme si attendrissant avec son seau d’eau qui vient nous raconter qu’il a participé à l’achat d’un billet d’avion avec ses économies pour l’offrir à sa mère qu’il a vu mourir au décollage ! Sombre destinée qui vaut bien un coup de pédale ! Les figures historiques sont nombreuses et se croisent durant tout le spectacle qui fonctionne à merveille malgré quelques longueurs. La création va chercher des réponses à ses questions jusqu’aux origines, mais est-ce bien nécessaire après tout ?

Les seize comédiens relèvent le défi d’une création particulièrement originale avec un talent époustouflant, un sens de l’adresse au public menée avec une évidence très appréciable, une maîtrise de l’absurde déconcertante et une justesse à en faire pâlir plus d’un !

Les Helvètes !
De : la promotion D de La Manufacture – Lausanne (création collective)
Mise en scène : Christian Geffroy Schlittler
Scénographie et lumière : Nicolas Berseth
Costumes : Karine Vintache
Avec : Laurent Baier, Adrien Barazzone, Fabienne Barras, Emilie Blaser, Vincent Brayer, Audrey Cavelius, Koraline de Baere de Clercq, Catherine Delmar, Claire Deutsch, Cédric Djedje, Pierre-Antoine Dubey, Mélanie Foulon, Yan Juillerat, Nissa Kashani, Nora Steinig, Joséphine Struba

Du 24 au 27 juin 2010
Dans le cadre du
Festival des Écoles du théâtre public

Théâtre de la Tempête
Cartoucherie, Route du Champ de Manœuvre, 75 012 Paris
www.la-tempete.fr

www.hetsr.ch

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