© Simon Gosselin
ƒƒƒ article de Denis Sanglard
Adapter, traduire c’est toujours trahir. Pour le meilleur comme pour le pire. Là, nous avons le meilleur. Des 13OO pages et quelques du roman de Dostoïevski, Sylvain Creuzevault taille à la hache pour une version épurée en apparence, en apparence seulement, autour d’une seule question, qui des trois fils a tué le père, Fiedor Karamazov. Si Dieu n’existe pas tout est permis est-il graphé sur le mur du plateau quasi nu, réduit à l’essentiel. L’impression fugace d’une salle d’autopsie où bientôt sera disséqué le cadavre de la Russie exsangue dont cette famille dysfonctionnelle est le symptôme. C’est d’ailleurs là que sera exposé, dans une scène d’anthologie, le corps puant la charogne du Starets Zossima. Plus qu’une enquête policière sur ce parricide, c’est avant tout la quête existentialiste, métaphysique et politique de chacun parcourant cette œuvre monstre qui est ici mis en exergue, résumé de façon lapidaire et explosive tant elle est ici concentrée à l’extrême en trois heures de temps. Le rapport à la foi, l’affrontement entre le bien et le mal, la culpabilité, la rédemption, la justice, le politique et le religieux, c’est un vaste jeu de massacre auquel excelle Sylvain Creuzevault qui prend au pied de la lettre l’injonction de Jean Genet pour qui ce roman est « une farce, une bouffonnerie vaste et mesquine. » Et l’œuvre transposée dans la Russie de Poutine ne manque du coup pas de sel… et de pertinence. Et au jeu de citations, si pour Müller « qui crée veut la destruction » le metteur en scène allègrement retrousse ses manches et se met à la tâche sans barguigner. Il pilonne certes l’ouvrage mais pour mettre à jour ses fondations. C’est proprement jubilatoire et corrosif et limite borderline. Mais ça, le borderline, Sylvain Creuzevault sait y faire et avec maestria. Avec doigté cependant, restant toujours dans les bornes du texte à qui il insuffle une modernité radicale et âpre. Avec une économie de moyen drastique, il ne s’embarrasse de rien, expédie au besoin le superflu, qui laisse toute la place aux acteurs qui empoignent leurs personnages avec une conviction fortement chevillée et un naturel confondant donnant corps au réel à chacun de leur personnage incarné. L’impression d’une improvisation permanente, où Nicolas Bouchaud décidemment se surpasse avec une maîtrise stupéfiante. Mais il faut souligner l’ensemble et la cohérence de cette troupe, on peut parler de troupe ici, dirigée au cordeau et ne rechignant pas à la tâche pour défendre avec ardeur et une bonne dose de folie cette vaste blague, cette géniale bouffonnerie. Le rire est une déflagration libératoire mais c’est toute la lucidité et l’ironie métaphysique, on peut dire ça, de Dostoïevski qui nous explose salement à la figure.
© Simon Gosselin
Les frères Karamazov d’après Fédor Dostoïevski
Adaptation et mise en scène Sylvain Creuzevault
Avec Nicolas Bouchaud, Sylvain Creuzevault, Servane Ducorps, Vladislav Galard, Arthur Igual, Sava Lolov, Frédéric Noaille, Blanche Ripoche, Sylvain Sounier et les musiciens Sylvaine Hélary, Antonin Rayon
Traduction française André Markowicz
Dramaturgie Julien Allavena
Scénographie Jean-Baptiste Bellon
Lumières Vyara Stefanova
Création musique Sylvaine Hélary, Antonin Rayon
Maquillage Mytil Brimeur
Masques Loïc Nébréda
Costume Gwendoline Bouget
Son Michaël Schaller
Vidéo Valentin Dabbadie
Du 22 octobre au 13 novembre 2021
Du mardi au samedi à 19 h 30, le dimanche à 15 h
Théâtre de l’Odéon
Place de l’Odéon
76006 Paris
Réservations 01 44 85 40 40
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