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Les Fourberies de Scapin, de Molière, mise en scène de Denis Podalydès, à la Comédie-Française

Sep 27, 2017 | Commentaires fermés sur Les Fourberies de Scapin, de Molière, mise en scène de Denis Podalydès, à la Comédie-Française

© Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Les Fourberies de Scapin mise en scène par Denis Podalydès est un pur moment de bonheur et de théâtre ! Denis Podalydès n’a pas cherché à moderniser, à trouver une nouvelle façon originale de monter cette pièce. Non, il a fait mieux. De cette pièce d’une grande liberté dans l’œuvre de Molière – elle fut créée au Palais-Royal, loin de la cour – il a recherché les ressorts profonds, souterrains, de cette comédie mal foutue en apparence mais qui renoue avec les origines du théâtre aimé de Molière, la commedia del arte. Hommage en premier lieu à Scaramouche, qui partageait le théâtre même ou fut créé Scapin et qui trouve là son origine et son caractère premier, hommage au théâtre italien dont il reprend les codes. Seulement nous ne sommes pas dans la farce grossière mais dans une farce dont la sophistication négligée épate et que révèle avec intelligence la mise en scène étourdissante de Denis Podalydès. Lequel s’est bien gardé de plonger dans ce comique-là, grossier, cette facilité, ce piège de la farce assimilée au gros et gras comique. Un contresens souvent emprunté. Sa mise en scène va droit au but, rapide et fluide et touche par sa relative simplicité sans esbroufe et sa beauté brute. C’est dans la remarquable, exceptionnelle même, direction d’acteur qu’il faut trouver tout le sel et le centre de cette mise en scène. Tous au diapason, dirigés au cordeau et visiblement complices, Scapin en premier lieu, ébouriffant et véloce Benjamin Lavernhe qui joue de sa fausse nonchalance et de sa vivacité avec une aisance confondante. Jouant de son épuisement aussi. Chacun des personnages est ainsi dessiné, polissé, chaque caractère trouve une profondeur inattendue à laquelle on ne nous avait pas vraiment habitué jusqu’ici (sauf il y a longtemps, Jean-Pierre Vincent pour mémoire). Ils ont tous une vérité insoupçonnée et troublante sous leurs frustres oripeaux de zanni français. Drôle, très drôles mais plus encore. Didier Sandre, loin de son élégance naturelle, quasi méconnaissable, atrabilaire et avaricieux, grinçant, méchant, inquiétant, campe un Géronte stupéfiant (pourquoi pensai-je en le voyant à Paul Léautaud ?) qui restera sans doute dans les annales… Denis Podalydès exhausse ainsi toutes les saveurs de ces personnages au centre desquels Scapin, véritable vif-argent, règne en maître absolu. Et ce que révèle justement Scapin, surgi tel un diable des dessous de la scène, audacieusement nu mais certes pas innocent, c’est la violence des personnages et des situations auxquelles il est confrontés à la demande des fils, Léandre et Octave. Violence des pères envers leurs fils, mensonge des fils envers leurs pères, l’argent qui circule et corrompt les caractères. Et c’est cet ordre troublé qu’il doit remettre en place, lui le valet. Car sa marginalité ne peut s’exprimer que dans l’ordre établi… Denis Podalydès met l’accent sur cette violence d’un système dont Scapin n’est ni exempt ni le dupe. La scène du sac attendue et aussi drôle soit-elle, et particulièrement réussie ici, qui voit le sac suspendu comme un carrelet et balancé au-dessus de la salle, est pour Géronte particulièrement ardue, d’une cruauté sans fard et inhabituelle, qui en ressort rompue et en en sang, humilié. Les coups de bâtons expriment toute la colère concentrée d’un valet qui le temps de trois actes a toute puissance. Scapin explose de rage et Benjamin Lavernhe exprime soudain combien Scapin, même dans la séduction, n’a de limites que celles qu’il se donne. Voilà sans doute la première de ses fourberies, ne pas paraître ce qu’il est, avancer masqué. C’est ce caractère insaisissable que Denis Podalydès met avec justesse en avant. C’est également dans cette formidable capacité à débusquer derrière la comédie et le rire la violence des relations, accentuée par le ressort comique de la farce, la farce comme un masque, une fourberie de plus, que Denis Podalydès réussit sa mise en scène. En jouant également de la proximité, comme sur un tréteau de foire, la scénographie de Eric Ruf, ce port comme un cul de bas-de-fosse bordé de hautes palissades, lieu clos, réduisant volontairement de moitié le plateau, acculant les acteurs au-devant de la scène. Proximité avec le public à qui on s’adresse, témoin et complice hilare, un jeu volontairement frontal donc, direct, mais aussi proximité entre les personnages exacerbant leurs relations, leurs échanges explosifs et les situations. Denis Podalydès use avec bonheur des artifices de la comédie qu’il cristallise et porte haut mais dans le même temps donne une formidable humanité à ces pantins de tréteaux. Et c’est ce qui rend si vivante, si forte cette mise en scène qui très vite dépasse les clichés auxquels on la cantonne trop souvent. En leur offrant cette part d’humanité et d’ombre, voire de mystère, Denis Podalydès comme un formidable pied-de-nez dément l’opinion de Boileau qui « dans le sac ridicule où Scapin s’enveloppe / (Je) ne reconnais plus l’auteur du Misanthrope ». La dernière image bouleverse qui voit tout soudain la solitude d’un personnage défait, condamné pour être pardonné à mourir, à demeurer au bout de la table. Retour vers le néant. Scapin seul à l’avant-scène exprime une mélancolie insoupçonnée et vous bouleverse. Une dernière fourberie ? Nous n’aurons pas la réponse. Et à jardin, près du manteau d’Arlequin, entassés les uns avec les autres sur l’échafaudage qui les porte sur le plateau, comme des pantins rangés après la représentation, les acteurs disparaissant dans l’ombre…

Les Fourberies de Scapin de Molière

Mise en scène de Denis Podalydès

Scénographie Eric Ruf
Costumes Christian Lacroix
Lumières Stéphanie Daniel
Son Bernard Vallery
Maquillages Véronique Soulier-Nguyen
Collaboration artistique et chorégraphique Leslie Menu
Assistanat à la mise en scène Alison Hornus
Assistanat à la chorégraphie Dominique Schmit

Avec la troupe de la Comédie-Française : Bakary Sangaré, Gilles David, Adeline d’Hermy, Benjamin Lavernhe, Claire de La Rüe du Can*, Didier Sandre, Pauline Clément*, Julien Frison, Gaël Kamilindi

Et les comédiennes de l’Académie : Maïka Louakairim et Aude Rouannet

* en alternance

Représentations (en alternance) du 20 septembre 2017 au 11 février 2018
(calendrier complet sur www.comedie-francaise.fr)
Matinée 14h, soirée 20h30

Réservations 01 44 58 15 15

Comédie-Française
Salle Richelieu
Place Colette
75001 Paris

 

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