© Jean-Louis Fernandez
ƒƒƒ article de Corinne François-Denève
Vous en voulez, de l’histoire de l’art située et féministe, des invisibilisations et des silenciations, des constellations, des sororités, de l’écriture inclusive et des non binarités ? Foncez sur ces Femmes de la maison. Vous trouvez qu’ « autrice » est un mot affreux et qu’on a le droit d’aimer être importunée ? Venez-y quand même voir. Non vraiment, non, vous êtes contre les femmes, mais alors tout contre ? Allez, entrez, il y a des femmes, des actrices, très belles, de toutes les façons, et absolument.
« La maison », et quelques émoluments (vrais, pas en nature), c’est ce que Joris, le personnage masculin, propose à des femmes artistes, ou des artistes femmes, dans les années 1950, 1970 et 2020 (la fable lui suppose, avec humour, une longévité exceptionnelle, dopée à coup de sages hindous ou de médecines ayurvédiques). Joris, on l’a compris, réalise le rêve esquissé par Virginia Woolf : une pièce à soi et trois guinées, pour avoir la possibilité de créer – pas une maison de poupée. Dans les années 1950, la femme artiste, qui, évidemment, s’appelle Simone, a quitté mari et enfants pour, entre deux dépressions, crayonner en paix. Dans les années 1970, Miriam s’aménage un espace réservé aux femmes pour coudre des coussins fendus en leur milieu, s’ouvrant en deux grandes lèvres roses. Plus tard, pour trois autres femmes (une romancière-documentariste à succès, une dramaturge au bord de la ménopause alcoolisée, une mère lesbienne en transition), il s’agira d’écrire cette histoire située, avec les difficultés que cela suppose et qui, sans doute, métathéâtralement, reflètent celles de Pauline Sales écrivant « Womanhouse ».
Trois époques, trois temps, de l’histoire des femmes et du féminisme, au prisme de l’histoire de l’art : on évoque Pauline Réage ou Judy Chicago et Miriam Shapiro, le droit à l’avortement ou à celui de jouir, le désir d’être une femme, de ne plus en être une, l’absolue non nécessité de se décrire par le genre, et toujours, surtout, les phénomènes de domination et de soumission, toujours retournables – trois femmes puissantes mais soumises au patriarcat, face à une aide-soignante-ménagère qui sera toujours flouée.
Il est peu de dire que Pauline Sales s’est assignée une tâche dantesque, et que l’ensemble est à tout le moins dense. La dramaturge semble d’être donné pour mission de tout brasser, de tout évoquer, non sans recourir aux clichés, dont on ne sait s’ils sont assumés comme tels. Chez les hippies féministes, il faut une fête orgiaque et païenne, un happening, une performance à vulve et seins nus. Heureusement, la troisième partie, comme à la table, permet à la pièce de repartir, et de se finir de façon plus apaisée. La multiplicité des voix, qui permet d’exprimer des avis divers, y trouve là en effet sa forme la plus aboutie – même si le propos, généreux, se dilue entre cette myriade de répliques – que veut-on dire, finalement, sur la femme, que l’on devient, ou que l’on construit, ou que l’on dissout ? Pauline Sales semble davantage avoir voulu faire un état des lieux, souvent plein d’humour, que vouloir choisir une voix – à moins qu’elle se soit retrouvée encombrée de son gigantesque matériau.
Le texte, riche, est admirablement soutenu par les quatre comédien.nes, qui échangent rôles et genres, souvent à vue. La scénographie est intelligente ; les costumes et accessoires sont autant d’indices semés pour la compréhension du propos. En un mot, cette maison, sans doute ouverte à tous les vents, demeure plus que fréquentable.
© Jean-Louis Fernandez
Les Femmes de la maison, de Pauline Sales
Mise en scène Pauline Sales
Scénographie Damien Caille Perret
Création lumière Laurent Schneegans
Création sonore Fred Bühl
Costumes Nathalie Matriciani
Coiffure, maquillage Cécile Kretschmar
Régie son Jean-François Renet ou Fred Buhl
Régie générale et lumière François Maillot
Habilleuse et entretien perruques Nathy Polak
Photographies Jean-Louis Fernandez
Avec Olivia Chatain, Anne Cressent, Vincent Garanger, Hélène Viviès
Présenté le 11 janvier au Théâtre Scarron, Le Mans.
Tournée 2021
Du 11 au 14 janvier, Paris
Le Théâtre de l’Ephémère — Scène conventionnée pour les écritures théâtrales contemporaines
Du 20 au 23 janvier, Reims
La Comédie — CDN de Reims
Du 27 au 29 janvier, Saint-Etienne
La Comédie de Saint-Étienne — Centre Dramatique National
Le 3 février, Cachan
Le Théâtre Jacques Carat, Cachan
Les 2 et 3 mars Lons-le-Saunier
Les Scènes du Jura, scène nationale (Lons le Saunier)
Du 10 au 13 mars, Bordeaux
TNBA —Théâtre National de Bordeaux en Aquitaine
Du 3 au 16 avril, Saint-Denis
Le TGP (théâtre Gérard Philipe-CDN de Saint Denis)
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