© Morgane Le Moal
ƒƒƒ article de Hoël
Lauréate du Prix du Festival Impatience 2019 et du Prix des Lycéens Impatience 2019, Les Femmes de Barbe Bleue aurait dû jouer une belle série de représentations au CENTQUATRE-PARIS du 29 janvier au 6 février. Puissent les théâtres rouvrir prochainement pour rappeler à chacun.e à quel point la liberté est essentielle…!
Inspirée du conte de Perrault « Barbe Bleue », la pièce fait de ce personnage effrayant un serial-killer, pour évoquer la domination masculine, certes, mais elle va subtilement plus loin : c’est toute l’ambiguïté du désir, de l’attrait de la domination, et de la frontière entre consentement et soumission qui se jouent ici.
Ecrite collectivement par les cinq comédiennes et dirigé par Lisa Guez qui en signe aussi la mise en scène, Les Femmes de Barbe Bleue donne la parole à cinq femmes, ou plutôt à quatre fantômes et une femme, les femmes déjà assassinées et l’actuelle femme, qui peut encore être sauvée… Tour à tour, les fantômes vont prendre la parole et rejouer leur « histoire d’amour » avec Barbe Bleue : comment elles ont été séduites, puis petit à petit piégées par ce dominateur, sans possibilité de s’enfuir.
Là où le texte prend toute sa force, c’est que ces femmes, pleines de vie et de désir ne se révèlent pas les simples victimes d’un serial-killer anonyme, mais elles révèlent leurs propres failles : désirs, dénis ou conditionnement les ont menées dans les bras de ce prédateur. Oui, elles s’y sont d’abord jetées de plein gré. On parle donc bien avant tout du désir féminin dans sa complexité et sa diversité. Et c’est d’ailleurs toute la métaphore de cette petite clef que Barbe Bleue donne à ces femmes en leur interdisant d’ouvrir la porte qui mène à son cabinet personnel… Liberté, curiosité, déni, obéissance, attirance, et finalement manipulation et perversité plus ou moins invisible du dominateur.
Mais cette fois-ci, l’histoire ne s’arrête pas à la mort : en revivant, verbalement et physiquement, les évènements qui les ont conduites à cette mort, et en les revivant devant les autres — ces « âmes-sœurs » — les quatre femmes vont ensemble pointer les anomalies des situations, dénouer les aberrations. Les monologues se meuvent alors en scènes de psychanalyse, en coaching, en répétition générale, bref en espaces de résistance. Avec humour et détermination, elles cherchent à vaincre la peur et déjouer les mécanismes. Seulement cinq chaises sur le plateau : les corps et les mots suffisent à donner toute la chair et les frissons aux récits.
Les cinq comédiennes oscillent alors entre leur propre rôle et celui de Barbe Bleue que nous ne verrons jamais sur scène, mais qui est pris en charge par les femmes elles-mêmes, mettant encore plus en lumière la part obscure de chacune. Valentine Bellone, Valentine Krasnochok, Anne Knosp, Nelly Latour, Jordane Soudre sont impressionnantes de justesse, de sensibilité et de force. Leur complicité transpire sur le plateau jusqu’à créer une véritable sororité qui, peut-être, permettra de déjouer le sort réserver à la prochaine proie de Barbe Bleue…
© Morgane Le Moal
Les Femmes de Barbe Bleue, de la Compagnie Juste Avant la Compagnie, d’après Charles Perrault
Une écriture collective dirigée par Lisa Guez, mise en forme par Valentine Krasnochok
Mise en scène : Lisa Guez
Avec : Valentine Bellone, Valentine Krasnochok, Anne Knosp, Nelly Latour, Jordane Soudre.
Dramaturgie : Valentine Krasnochok
Création lumière : Lila Meynard et Sarah Doukhan
Création musicale : Antoine Wilson et Louis-Marie Hippolyte
Chargée de diffusion : Anne-Sophie Boulan
Chargée de production : Clara Normand
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