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Les enfants éblouis, texte et mise en scène de Yan Allegret, avec Yann Collette, à L’Echangeur, Théâtre de Bagnolet

Déc 03, 2021 | Commentaires fermés sur Les enfants éblouis, texte et mise en scène de Yan Allegret, avec Yann Collette, à L’Echangeur, Théâtre de Bagnolet

 

© Jean-Rémy Moulona

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

Le flottement de l’espace et l’ondoiement du temps comme un nouvel être au monde, comme une renaissance. Les rives de l’enfance passée comme un présent où amarrer nos âmes intranquilles. La lumière comme un aveuglement pour voir au-delà des apparences, pour voir en soi. Les mots comme le roulement des vagues, plongeant dans les profondeurs de l’être et rebondissant à la surface, sans cesse. Les enfants éblouis de Yan Allegret est tout cela et autre chose à la fois. C’est un jardin abandonné dont on aurait poussé la porte par hasard, sans savoir, vibrionnant d’une activité qui passera inaperçue aux yeux du promeneur pressé, mais qui procurera au spectateur vagabond la sensation rare de chasser les papillons, tant les images et les sensations sont fugitives, affleurent dans un affolement semblable au jaillissement d’une source.

Un homme est assis dans un profond et usé fauteuil, et je me souviens de cet autre fauteuil, inoubliable, occupé en 2012 par Claude Duparfait (Des arbres à abattre de Thomas Bernhard, mis en scène par Célie Pauthe). Ici c’est Yann Collette qui s’y fond. Ce n’est pas le récit d’un narrateur aigri comme chez Thomas Bernhard mais le dialogue paradoxal qu’entretiendrait une voix intérieure, produite au plateau sous la forme d’une voix-off préenregistrée, et le soliloque, troué, désaccordé, ne tenant pratiquement plus par aucun fil, de cet homme, dont les mots sont égrenés comme à contretemps de la voix intérieure, trop tôt ou trop tard, comme un écho se diffractant entre deux niveaux de conscience, deux temporalités. Cet homme est dans une chambre qui pourrait être celle d’un EHPAD, ou d’une maison de convalescence… Cela a peu d’importance finalement, puisque le lieu qu’il habite est sans cesse réinventé par cette conjonction des temps et des espaces qu’il a le pouvoir de convoquer. La solitude, l’abandon, lui donnent ce pouvoir.

C’est un passage entre deux rives, entre deux portes. Et le passeur en est Yann Collette, magnifique, d’une présence et d’une précision inouïes. Son visage, comme l’eau d’un lac, diaphane, où les souvenirs et les émotions appelés et cités à voix haute par cette voix intérieure se répercutent et y tracent leurs formes humaines, se succèdent comme la litanie des nuages dans le ciel. Son visage est le plus sûr et fidèle truchement de ce singulier objet théâtral par lequel l’œuvre communique avec le spectateur. Et c’est une magnifique leçon de théâtre que nous donnent Yann Collette et Yan Allegret : une présence muette peut exprimer l’inexprimable, une présence peut donner du corps au mot les plus évanescents, conjuguer le passé au présent. Dans le dispositif mis en place par Yan Allegret, il y a comme une inversion heureuse du procédé du cinéma muet où les mots dans les cartons venaient donner du sens aux images muettes : ici, c’est le visage de Yann Collette qui révèle le nerf et la chair du texte donné à entendre en voix off comme s’il s’y reflétait.

A l’instar de la très belle et efficace scénographie conçue sur le principe de la réflexion : le fauteuil est une île sur un plan d’eau rectangulaire dont les ondes se reflètent sur l’écran de fond de scène. Les pas hésitants ou pleins d’allant de l’homme produisent des ondes à la surface de l’eau et c’est tout un paysage éphémère qui habite l’écran, un entrelacement de cursives blanches comme une écriture en constante réécriture.

Le passé n’est pas fait d’eaux mortes nous rappellent Les enfants éblouis. Les eaux de notre enfance dorment simplement dans l’attente d’un piétinement de l’être.

 

© Jean-Rémy Moulona

 

Les enfants éblouis, texte et mise en scène Yan Allegret

Avec : Yann Collette

Collaboration artistique : Ziza Pillot

Création sonore et musicale : Yann Féry

Lumières et scénographie : Philippe Davesne, Yan Allegret

Régie générale : Philippe Davesne

 

Durée : 1 h 20

Du 29 novembre au 4 décembre 2021 à 20 h

 

THÉÂTRE L’ÉCHANGEUR

59 avenue Général du Gaulle

93170 BAGNOLET

Tél : 01 43 62 71 20

https://lechangeur.org

 

 

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