À l'affiche, Critiques // Les derniers jours, texte et mise en scène de Jean-Michel Rabeux, Théâtre du Rond-Point

Les derniers jours, texte et mise en scène de Jean-Michel Rabeux, Théâtre du Rond-Point

Fév 27, 2020 | Commentaires fermés sur Les derniers jours, texte et mise en scène de Jean-Michel Rabeux, Théâtre du Rond-Point

 

© Simon Gosselin

 

 

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Trompe-la-mort. À l’ami disparu Jean-Michel Rabeux rend un formidable hommage. Pas de ces hommages à la con qui vous font un joli portrait hagiographique mais un récit cru et sans fioriture d’une fin de vie merdique, d’une déchéance et d’une mort attendue comme un soulagement. C’est peut-être ça être fidèle à ceux qui ont traversés votre vie. Lear se meurt, Lear est fou, Lear est mort. Mort en retard comme on rate une entrée, un ultime pied de nez. Et si tout ça n’était qu’une farce, un jeu ? Jean-Michel Rabeux n’invente rien. Lear, ainsi le nomme-t-il car la folie fut la fin de son règne, était rongé d’une paralysie supra nucléaire progressive. Un nom qui en jette pour une véritable saloperie que figure dans le cerveau l’image d’un colibri. Alors Jean-Michel Rabeux commence par la fin, comme on se débarrasse du plus pénible, l’agonie et la mort de Lear. Puis il remonte ainsi le temps, celui de la découverte de la maladie puis la longue déchéance, la folie qui gagne, le corps qui se répand et annonce la camarde qui entre sans frapper les trois-coups. Rien n’est occulté, de la violence, de la dépendance. De la merde dont il se macule. Des glaires qu’il faut aller chercher avec les doigts. Du corps qui lâche. Du croque-mort minuscule et si minutieux dans la rédaction de son devis tandis que Lear agonise… De cette décision douloureuse et sans recours, tant de fois retardée, où le fils médecin décide d’hâter la fin de cet homme retombé en enfance. Pas de pathos, ce n’est pas le genre de la maison. Mais une sourde mélancolie, une rage mise en sourdine et de la gaîté franche, oui. On rit.  On chante, on danse. On passe le plumeau aussi. Le mort est là qui commente, engueule, dément sa démence, ricane et prend le temps de mourir. La mort est en jeu, la mort est un jeu. Et sa femme, Pénélope, un pseudo évidemment, qui donne le change, tient bon, craque et demande qu’on en finisse. Mais qui tient malgré tout, malgré ses 82 ans et ses poumons pourris, par ce que curieusement, dès le premier jour, allez savoir pourquoi, elle trouve ça beau. Oui. Et que la beauté ça aide à tenir face au pire. Et Jean-Michel Rabeux, Pylade (ami d’Oreste devenu fou lui aussi), qui note, écrit, envoie aux pelotes Lear de dire n’importe quoi. Jean-Michel Rabeux, larmes ravalées, qui transcende tout ça, ne dit que la vérité, rien que la vérité toute nue, toute sale. Ça fait mal mais au théâtre la distance est là et les morts reviennent, plus vivants sans doute qu’ils ne le furent. Le théâtre exhausse la vérité, la transcende, on le sait. La tragédie est un jeu de distanciation. Une catharsis trompe-la-mort. On meurt pour de faux au théâtre. Lear n’est donc pas mort puisqu’il est là sur le plateau, incarné, auréolé de sa folie et de sa merde. Jean-Michel Rabeux est un démiurge qui ressuscite les morts, convoque les vivants pour une ultime cène, un drôle de cabaret, une revue pathétique, une veillée loin d’être funèbre. Rien de moins et c’est grandiose. Et tout ça au final est d’une grande légèreté, d’une douce et grave délicatesse comme ses plumes suspendues aux cintres et qui ne tomberont pas, jamais. Ils sont formidables sur le plateau pour ce dernier salut à l’artiste que fut Lear. Claude Degliame, Pénélope armée de son courage crâne, bravache et fatiguée devant l’inéluctable. Yan Métivier, Pylade, présence fébrile et protectrice, double de Jean-Michel Rabeux, rajeuni pour l’occasion. Olav Benestved, Lear facétieux pour qui tout ça n’est sans doute qu’un dernier rôle et dans lequel, encore une fois, il sera le meilleur et qui donne le meilleur avant que ne tombe le rideau. George Edmont, le plumeau, présence énigmatique, majordome discret, ordonnateur de cette cérémonie, ce protocole d’adieu. Et puisque l’on chante, que tout fini par des chansons, « je suis foutu » devient rengaine ici, Juliette Flipo au chant et à la harpe pour chalouper sur un dernier tango avec la mort, un ultime  pas-de-deux collé-serré. Tous sont dans une juste distance résolus à ne pas en faire trop, exorciser la réalité, écarter le temps d’une représentation « l’obscénité de la mort » portée en sautoir. Lui régler provisoirement son compte. Et au sortir de là, décédé ou pas, se sentir vivant. Et citons feu Jean-Luc Lagarce, qui en connaissait un rayon en ce domaine, « Je suis vivant puisqu’à nouveau je fais semblant. » Voilà, c’est ça le théâtre faire semblant et se sentir vivant. C’est ce petit miracle-là que Jean-Michel Rabeux réalise avec humilité et grand talent. Nous faire sentir vivant.

 

© Simon Gosselin

 

Les derniers jours, texte et mise en scène de Jean-Michel Rabeux

Musiques Juliette Flipo et Teddy Degouys

Installation Isa Barbier

Lumières Jean-Claude Fonkenel

Assistanat à la mise en scène Sophie Rousseau

Avec Olav Benestved, Claude Degliame, Yann Métivier, Georges Edmont, Juliette Flipo

 

Du 25 février au 22 mars 2020 à 21 h

Dimanche 15 h 30, relâche les lundis et le 1er et 3 mars 2020

 

 

 

Théâtre du Rond-Point

2bis av. Franklin D. Roosevelt

75008 Paris

 

Réservations 01 44 95 98 21

www.theatredurondpoint.fr

 

 

Be Sociable, Share!

comment closed