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Les dernières geishas, mise en scène de Shingo Ôta et Kyoko Takenaka, à la Maison de la Culture du Japon à Paris / Festival d’Automne

Nov 16, 2024 | Commentaires fermés sur Les dernières geishas, mise en scène de Shingo Ôta et Kyoko Takenaka, à la Maison de la Culture du Japon à Paris / Festival d’Automne

 

© Pierre Grosbois

fff article de Denis Sanglard

De quoi la Geisha est-elle le nom ? Etymologiquement : « personne pratiquant un art ». Plus souvent un cliché tenace, stéréotype d’une vision fantasmée du Japon éternel, image promotionnelle et symbolique, bien loin d’une réalité plus complexe. Tenante d’une culture qui remonte au XVIIème siècle, elles exercent un métier le plus souvent méconnu, lequel disparaît progressivement. Invitées dans les banquets, elles servent le saké, performent des danses et des chants traditionnels, participent à des séances de jeu.  Le documentariste Shingo Ôta et la comédienne Kyoko Takenaka sont partis à la recherche de ces femmes, ont suivis leurs cours, répétées et appris leur danse, leurs chansons, participés aux banquets, en invité ou en apprentis-geishas. Particulièrement auprès de Hidemi (76 ans aujourd’hui), la dernière représentante à avoir exercé à Kinosaki. Une séquence filmé et diffusé, comme le sont d’autres dont une séquence d’habillage ou un banquet.

C’est du théâtre-documentaire, objet hybride entre vidéo et plateau, où compte davantage le processus, le ressentit que le résultat. Création sensible et d’une grande intelligence qui fait sauter subtilement tous les préjugés que nous pouvons avoir sur ces femmes et leur profession, à commencer par Shingo Ôta et Kyoko Takenaka eux-même. Sur le plateau ils s’interrogent sur cette tradition, la confronte dans sa pratique au japon contemporain, aux questions féministes aussi  exprimées par les réticences de Kyoko Takenaka à réaliser ce sujet qui heurte ses convictions, n’édulcorent au final aucune question ni contradiction relevées au long de cette réalisation. Reproduisent sur le plateau ce qu’ils ont appris, habillés, perruqués, maquillés en geisha. Shingo Ôta, loin d’être ridicule ainsi vêtu, ressemblant davantage à un onagata échappée d’un kabuki… Démontrent combien être geisha est plus qu’un art de vivre mais aussi une façon d’être inscrite profondément, intimement, dans le corps. Et pour ce faire scénarisent une journée ordinaire. Le public ignore tout du texte qui est soufflé à l’oreille de Kyoko Takenaka et nous sommes ébahis, bluffés, par cette « danse » qui s’opère devant nous alors même qu’il n’est question que de gestes d’une grande banalité mais qui engage tous le corps qui se meut de façon unique.

Car la réflexion principale qui revient au long de cet exercice et préoccupe notre documentariste est l’usage du corps, ce qu’il transmet d’essentiel et de mémoriel. Paysage d’un japon disparu, les danses sont la reproduction de gestes et mouvements, d’une culture, oubliés. Comme l’incroyable position du Shachihoko, posture d’un poisson renversé à l’image de celui au sommet du château de Nagoya, à laquelle ils s’essaient tous les deux, non sans mal. Heureuse formule de Shingo Ôta qui parlent de la danse et du corps comme d’un médium d’enregistrement d’image, l’équivalent de nos caméra aujourd’hui et qui oblitère de fait tout jugement. Les geisha sont par le corps ( et la danse) la mémoire culturelle d’une tradition.

C’est joli comme dit Hidemi d’un mouvement, ou du maniement précis d’un éventail, mais derrière l’élégance et la grâce, il est une codification rigoureuse qui échappe à celui qui regarde. C’est ici le point d’achoppement où Shingo Ôta en bon documentariste refuse cette codification, cette abstraction, cet attachement étant pour lui restrictif, pour tenter de retrouver le mouvement de vie originel, sa source vive. Et ce qu’il exécute devant nous, une danse n’exprimant rien de moins que l’expression corporelle d’un vendeur de parapluie devant la tour Eiffel, est tout simplement d’une acuité confondante, un instant où la sociologie se confond avec l’art documentaire et de la danse. Ce à quoi, avec beaucoup de malice et devant les restrictions de son comparse, Kyoko Takenaka lui répond, démonstration à l’appui, qu’il suffit de pratiquer, et les images viendront d’elles-mêmes, se substituant à la codification.

Mais ces deux complices ne s’arrêtent pas à reproduire et interroger la reproduction de cette pratique. Ils proposent aussi, inventent, dessinent une geisha contemporaine, plus au fait d’une société en mutation, de ses problèmes sociaux, confrontent la tradition à la modernité du Japon, dénonçant au passage les conditions de travail souvent dure ou les aléas de cette profession dévolue à un milieu privilégié… Que conclue étonnement et avec humour pince-sans-rire une battle, un rap, où deux geisha s’affrontent, une ainée et une apprentie, exprimant lapidairement toutes les questions qui traversent cette performance. (Une performance accompagnée et mise en musique et en son par le guitariste Kazuhisa Ushihashi, présent sur la plateau.)

Et soudain cette image bouleversante qui résume brillement tout ça. Après cette battle échevelée qui voit nos deux geishas au sol, épuisées, un peigne tombe de la perruque de Shingo Ôta, qu’il n’arrive pas à remettre. C’est alors que surgit soudain du public, sans que nous nous y attendions, Hidemi qui monte sur scène pour replacer ce peigne correctement. Ce simple et modeste geste, porteur sans qu’il n’y paraisse d’un art ancien, est sans doute le plus formidable hommage à cette profession que l’on puisse rendre et l’affirmation de l’importance de la transmission. Et c’est bien à cette dernière et à sa manière singulière que participe cette création.

 

© Pierre Grosbois

 

Les dernières geishas, mise en scène et interprétation : Shingo Ôta et Kyoko Takenaka

Texte et vidéo : Shingo Ôta

Musique : Kazuhisa Ushihashi

Formation de danse et gestuelle de geisha : Hidemi ( dernière geisha à kInosaki)

Lumière et régie générale : Kei Furukata

Régie son/vidéo/surtitrage : Kumiko Ueda

Assistance vidéo : Emeric Adrian

Maquillage : Shingo Ôta, kyoko Takanaka

Kitsuké (habillage du kimono) : Reiko Yoshikawa, Hidemi

Regard extérieur : Aya Soejima, Komiko Ueda

Création son/sous-titrage : Shingo Ôta

Traduction : Miyako Slocombe, avec la participation d’Aya Soejima

 

Jusqu’au 19 novembre 2024

Durée 1h10

En japonais, surtitré en français

Première mondiale

 

Maison de la Culture du Japon à Paris

101bis quai Jacques Chirac

75015 Paris

Réservations : www.mcjp.fr / www.festival-automne.com

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