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Les Boréales, « un festival en Nord » Caen, Normandie

Nov 24, 2017 | Commentaires fermés sur Les Boréales, « un festival en Nord » Caen, Normandie

© Under (Cirkus Cirkör) /Mats Bäcker

 

© Wild Minds / Helena Tossavainen

ƒƒƒ Article de Corinne François-Denève

Un « festival en Nord » : vous l’avez, le jeu de mots ? Comme chaque année en novembre, le festival « Les Boréales » à Caen fait la part belle au « Nord » de l’Europe, mettant en avant deux pays – cette année, l’Islande et les pays nordiques baltiques. Pluridisciplinaire, le festival accueille des colloques « savants » (sur « La Norvège face à l’Europe et au monde »), mais aussi des auteurs (Katarina Mazetti, Lilja Sigurðardóttir, Steinunn Jóhannesdóttir, Jón Kalman Stefánsson, Auður Ava Ólafsdóttir, Sjón, Sara Stridsberg…), des musiciens (Ásgeir, Jay-Jay Johanson, Epic Rain, Steve’N’Seagulls, Víkingur Ólafsson ou… Grieg), des films (des Chevaux et des hommes, Sparrows, L’histoire du géant timide ou les plus connus Nói Albínói et L’Effet aquatique, en hommage à Solveig Anspach), des artistes – par exemple à la galerie des Sens une exposition de photographies de paysages d’Alexis Jarry, consacrées à son voyage au Svalbard; à l’Artothèque, les très beaux clichés, mis en valeur par une scénographie intelligente, de solitaires islandais vus par Valdimar Thorlacius  (I-One); et au Musée des Beaux-Arts une installation en plein air de Kaarina Kaikkonen. Comme chaque année, une part importante est également dévolue au spectacle vivant : Après la répétition de Nicolas Liautard, L’Apathie pour débutants et J’appelle mes frères de Jonas Hassen Khemiri, Kant de Jon Fosse, War Sum Up d’Hotel Pro Forma, avec les chœurs de la radio lettone – tous spectacles auxquels nous n’avons pu assister, au vu précisément de cette foisonnante programmation.

Nous avons cependant pu voir Under. On avait laissé pour notre part les Suédois de Cirkus Cirkör emmaillotés dans un tricot géant, pour Knitting Peace (https://lestroiscoups.fr/knitting-peace-de-cirkus-cirkor-theatre-de-saint-quentin-en-yvelines/). On les retrouve ici empêtrés dans une toile de parachute géant(e). Under, contrairement à Knitting Peace, dont le concepteur était Tilde Björfors, est la troisième et dernière partie de la trilogie engagée par Olle Sandberg, après Undermän et Underart. La pièce évoque un groupe d’hommes et de femmes abandonnés au milieu de nulle part suite à une catastrophe. A eux de trouver une façon de survivre, de partir à la reconquête de l’espace, du ciel, voire de leur envie de vivre. La formule, éprouvée tant elle semble plaire, est toujours la même : des images spectaculaires, une technique incroyable (des spots à leds immenses, dignes d’un concert de rock, une soufflerie qui gonfle la toile jusqu’à ce qu’elle envahisse le pourtant très spacieux plateau), quelques numéros virtuoses, le plus souvent des solos, qui émaillent une narration volontairement lente et « conceptuelle », des parties chantées pour conférer un aspect presque liturgique à l’ensemble. Les fans seront séduits, les réfractaires toujours un peu frustrés par ce spectacle qui décidément confine à la cérémonie rituelle, dont on se demande si on n’a pas manqué la nécessaire initiation.

Tout autre est le propos de Marcus Lindeen, jeune metteur en scène suédois qui présentait à Caen Wild Minds, initialement écrite en 2013 à l’initiative du musée d’Art Moderne de Stockholm. Difficile de parler de ce spectacle sans le dénaturer – le programme de salle n’est distribué qu’après le spectacle. Disons simplement que Lindeen a travaillé avec et sur des « rêveurs compulsifs ». Le rêveur compulsif, à la pathologie nouvellement attestée (le « Trouble de la Rêverie Compulsive », ou « TRC » découvert par Eli Somer en 2002), préfère rêver sa vie, s’inventer des amis « imaginaires », à l’existence souvent très compliquée. En un mot, les rêveurs compulsifs sont des auteurs dramatiques, metteurs en scène et comédiens qui coûtent davantage à la Sécurité Sociale qu’à Pôle Emploi Spectacle. Ils ne sont en effet pas artistes par intermittence, tant leur rêverie, assumée pourtant comme fictive, envahit leur vie. On voit ce que le propos peut avoir d’intensément théâtral : Calderón égaré dans le monde moderne, transformé(e) en banquière, Hamlet transgenre cherchant, cette fois, « perchance », « (not) to dream », à cesser de rêver pour reprendre pied dans la vraie vie – puisque « notre » monde moderne a des idées très arrêtées sur ce qu’est « la vraie vie ». Marcus Lindeen transpose donc cela au théâtre et l’on se demande ce qui est « transposé ». De la même façon qu’est ténue la ligne qui sépare le vraie vie du rêve, chez les « vrais » personnages de la pièce, comme au théâtre de façon générale, se tisse un fil ténu et fort indécis qui séparerait l’illusion du vrai, le théâtre du réel, le documentaire de la fiction, les amateurs des professionnels du rêve – les « vrais » comédiens. Lindeen convoque ses « témoins », les liant étroitement au territoire normand dans lequel il implante sa pièce. Qui joue d’ailleurs, et à quoi, on gardera le mystère. La pièce proposée à Caen était d’ailleurs une petite forme qui gagnera facilement en amplitude.

On signale aussi que l’on peut s’initier au tricot islandais et à la cuisine nordique, voire participer à un « café monoglotte » le jour international de la langue islandaise. Les moins aventureux peuvent se contenter de repartir avec leur BD (Hägar Dünor, Thor ou Millenium), ou leur polar islandais, grâce à la librairie du QG des Boréales, sise Église du vieux Saint-Sauveur.

Les Boréales, « un festival en Nord » Caen, Normandie

du 16 au 26 novembre 2017

Centre Régional des Lettres
Unicité 14 rue Alfred Kastler
CS75438
14054 CAEN cedex 4

Tél  02 31 15 36 40
http://www.lesboreales.com

Under (Cirkus Cirkör) de Olle Strandberg
Avec Henrik Agger, Anna Ahnlund, Klara Mossberg, Simon Wiborn, Methines Wongtrakoon
Scénographie  Tami Salamon
Costumes  Lena Lindgren
Dramaturgie  Bodil Persson
Conception lumières  Jani–Matti Salo
Composition et conception sonore  Andreas Tengblad
Composition et textes de la musique live  Anna Ahnlund
Conception graphique  Sepidar Hosseini

Durée : 1 h 30
A partir de 10 ans

Wild Minds, texte et mise en scène Marcus Lindeen
Avec (à Caen)  Barbara French, Anne-Sophie Ingouf, Claude Thomas, Hida Sahebi, El hadji abdou aziz Diaw
Musique et conception sonore  Hans Appelqvist
Traduction et assistanat à la mise en scène  Marianne Ségol-Samoy

Durée : 35 minutes

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