Critique de Camille Hazard –
Claire et Solange, « les Bonnes » de Jean Genet, se mettent en scène dans leur antre étouffant : la chambre de Madame. Pièce condamnée où les deux bonnes s’adonnent à leurs fantasmes macabres, pièce close où tout devient possible, chambre qui devient scène de théâtre, propice aux rituels…
Lors des absences nocturnes de Madame, Claire et Solange prêtent leur corps et leur voix à leurs fantasmes : répétant inlassablement le même rituel, elles se lancent à corps perdus dans un jeu sadique où Claire s’habille du rôle de la maîtresse tandis que Solange exulte dans son rôle d’employée de maison : confrontation extrême de la relation maître/esclave. La chambre de Madame devient l’univers clos et coupé du monde de deux monstres poétiques et désespérés…
Le metteur en scène Guillaume Clayssen, axe sa mise en scène sur ce trio féminin. Le décor est suave, satiné, baigné d’une ambiance sensuelle renvoyant à l’atmosphère lascive des boudoirs voluptueux, propice à l’imagination et aux fantasmes. Toute la personnalité de Madame est dévoilée dans ce décor riche et luxurieux. Les personnages apparaissent vite comme des figures emblématiques à travers les costumes et la gestuelle. Les deux bonnes portent la même panoplie vestimentaire, créant l’impression d’un monstre à deux têtes. La naïveté du costume et les quelques détails grotesques (comme la perruque blanche) les rabaissent à l’état de jouets, de marionnettes de Madame. Le corps (magnifique) de Madame est enveloppé d’un collant transparent sur lequel sont attachés des arcs et des tiges de fer : femme fatale de Jean-Paul Gauthier ? Femme objet et poupée de l’artiste Hans Bellmer ? Vêtement corolle d’une fleur empoisonnée ? Autant d’évocations qui nous emportent dans l’univers théâtral et étouffant de Genet.
Deux Chiennes aux abois tenues en laisse.
Si les deux bonnes apparaissent au début comme deux enfants canailles se déguisant avec les robes de leur mère absente, le climat devient pesant à mesure que leur jeu dévie vers leur refoulement meurtrier. Enchaînées à Madame, de par leur titre de bonnes, elles bavent leur jalousie et leur haine à travers des répliques empruntées à celle-ci : « Tout, mais tout ! ce qui vient de la cuisine est crachat. Sors, et remporte tes crachats ». Convaincues que leur libération dépend du meurtre de Madame, mais demeurant incapables de franchir le pas, elles ressassent leurs tirades acides avec une obsession morbide.
La question du corps est très présente dans la mise en scène. Le corps et l’envie qu’il provoque, le dégoût, la fécondité, la sublimation féminine et la rivalité qu’il exalte. Le corps de Madame éveille une envie et une fascination infinie en même temps qu’il est prisonnier de son image. Guillaume Clayssen réussit très bien à montrer l’enfermement mental, la cellule close dans laquelle est incarcéré l’esprit tout en étant propice aux fantasmes sans limite, au jeu sans interdit, à la libération de pulsions animales.
Tout au long de la pièce, les deux bonnes (Anne Le Guernec et Flore Lefebvre des Nöettes) restent dans un registre de jeu très théâtral, afin de montrer le jeu dans le jeu. S’il on peut parfois regretter le manque de dangerosité dans le rapport de ces trois femmes, le monde de l’enfermement, de la folie et des instincts est quant à lui très bien joué et mis en scène. Les trois actrices mènent le jeu avec une grande implication. Les jeux vocaux et corporels sont mêlés pour donner vie à des figures inquiétantes et parfois comiques.
Le spectacle a été pensé de manière très esthétique, les décors et les costumes servent le sens avec goût et audace. La dernière scène, dans une apothéose, nous fait revivre chaque meurtre imaginé, calculé, fantasmé par les deux bonnes. On assiste à la dernière étape de leur folie : les pensées et les actes se confondent totalement laissant Solange seule, dans des limbes irrationnels et tragiques.
Les Bonnes
De : Jean Genet
Mise en scène : Guillaume Clayssen
Avec : Aurélia Arto, Flore Lefebvre des Noëttes et Anne Le Guernec
Scénographie et costumes : Delphine Brouard
Lumière et vidéo : Eric heinrich
Son : Grégoire Harrer
Maquillage : Isabelle Vernus
Réalisation costumes : Bruno Fatalot (MBV)
Armatures costumes< : Valia Sauz
Régisseur général : Simon FritschiDu 30 mars au 16 avril 2011
L’Etoile du Nord
16 rue Georgette Agutte, 75 018 Paris – Réservations 01 42 26 47 47
www.etoiledunord-theatre.com