© Hervé Bellamy
ƒƒ article de Denis Sanglard
Dionysos, fils de Sémélé la foudroyée et de Zeus, dieu de l’altérité se présente à Thèbes, ville qui lui refuse son culte et ses mystères. Premier acte de sa vengeance, les femmes devenues possédées et ménades se livrent désormais au culte dionysiaque. Parmi elles, Agavé, la mère de Penthée, roi de Thèbes et petit-fils de Cadmos, qui se refuse à Dionysos au nom de la raison sa divinité. Cadmos, père de Sémélé, et Tirésias le devin qui pressent que ce rejet de l’autre, l’étranger, mènera à la tragédie, accueillent favorablement ce dieu et son culte auquel ils participent. Penthée furieux mais curieux des bacchanales où les hommes ne sont pas conviés et trompé par Dionysos qui le travesti en femme, se rend à cette cérémonie. Découvert par les ménades en transe il est déchiqueté à mort par sa propre mère, Agavé. Dionysos est vengé. Dionysos l’étranger, dieu du théâtre, de l’illusion, de l’altérité, brouille les frontières, entre l’homme et le divin, la raison et la barbarie, la réalité et l’illusion. Là où sont les barrières, de sexe, d’identité, de génération, de culture, il relie, réconcilie, l’exclusion menant au chaos. Ce qu’il offre au monde c’est l’altérité, la transgression nécessaire, sans laquelle le monde, les civilisations s’effondrent. La destruction de Thèbes, la mort de Penthée, ne sont que le fruit d’une affirmation identitaire au nom de la raison qui se refuse à l’altérité. Dernière tragédie d’Euripide, c’était il y a 2500 ans, ce pourrait être aujourd’hui. Notre monde vacille et ce poète grec, tel l’aveugle Tirésias, pressentait déjà la tragédie de notre humanité. Le repli sur soi, collectif ou individuel, le refus de l’autre, politique ou idéologique, l’aveuglement devant le changement inéluctable et nécessaire des sociétés, signe l’effondrement des civilisations repliées désormais sur elles-mêmes et devenues stériles, infécondes. Deux images, deux films, dans la mise en scène de Bernard Sobel résument le mieux cette assertion. Elles ouvrent et ferment cette création. La construction d’un décor, un temple antique. Et sa destruction en quelques coups de pelleteuses… Ecce homo. De ce décor il ne reste rien dans cette mise en scène. Quelques colonnes entassées dans un coin, au rebut, et quelques branches mortes d’olivier au centre, mausolée de Sémélé. Et dans cet immense plateau vide qui dénonce volontairement le théâtre, tout est à vue des cintres aux fauteuils des spectateurs, jusqu’au logo du T2G. Ce que met en scène Bernard Sobel c’est le texte nu, son contenu abrasif. Dépouillement extrême, pas d’artifice, rien qui ne fasse obstacle au discours. La mise en scène semble jetée là sur cette scène, au débotté, dans une urgence à dire, à proférer, qui excuse cette aridité, cette sécheresse apparente, les costumes à l’emporte-pièce et cette absence crâne de la moindre illusion théâtrale. Pas d’emphase tragique mais une diction naturelle. Bernard Sobel n’enferme pas Les Bacchantes dans la tragédie avec un grand T avec ses trucs et ses tics. Parce que ce qu’il regarde c’est notre siècle, notre temps et combien résonne aujourd’hui la prémonition d’Euripide qui assistait, lui, à l’effondrement de la Grèce. Et dépouillant avec raison cette tragédie de son aura tragique qui souvent la sclérose, la cristallise en son siècle, il lui donne une actualité des plus brûlante. Dionysos ici dans son enveloppe humaine est un ludion pour un peu facétieux s’il n’était résolu à se venger. On peut être déstabilisé par cette mise en scène radicale qui se refuse à l’esthétique convenue ou attendue, appelons cela comme ça, mais ce qui est ici en jeu c’est encore une fois la parole. Le théâtre ainsi dépouillé de tout artifice redevient l’agora, le spectateur un citoyen qui s’interroge et débat. Mais ni Bernard Sobel ni Euripide ne donnent de réponses.
© Hervé Bellamy
Les Bacchantes d’Euripide
Texte français Michèle Raoul-Davis
Mise en scène de Bernard Sobel
Collaboration artistique Michèle Raoul-Davis
Avec Eric Castex, Salomé Diénis Meulien, Claude Guyonnet, Loulou Hanssen, Jean-Claude Jay, Matthieu Marie, Sylvain Martin, Vincent Minne, Morgane real, Tchili, Alexiane Torres
Collaboration artistique Betsy Jolas, François Raffinot
Assistant à la mise en scène Sylvain Martin
Scénographie Jacqueline Bosson sur une idée originale de Lucio Fanti
Costumes Elodie Madebos
Masque Erhard Stiefel
Lumière Vincent Millet
Son Bernard Valléry
Vidéo Florence Ruch et Tchili
Construction décor Atelier Devineau
Du 8 au 10 février 2019
Vendredi à 20h, samedi à 18h, dimanche à 16h
T2G
41 avenue des Grésillons
92230 Gennevilliers
Réservations 01 41 32 26 26
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