À l'affiche, Critiques // Les Ailes du Désir, d’après le film de Wim Wenders, mise en scène de Marie Ballet, au Théâtre 13-Seine

Les Ailes du Désir, d’après le film de Wim Wenders, mise en scène de Marie Ballet, au Théâtre 13-Seine

Jan 29, 2019 | Commentaires fermés sur Les Ailes du Désir, d’après le film de Wim Wenders, mise en scène de Marie Ballet, au Théâtre 13-Seine

 

© Thomas Cauchard

 

ƒ article de Marguerite Papazoglou

Deux anges. L’éternité. Tout ce qui se passe. Le temps qui engloutit tout. C’est la vision des deux purs esprits qui veillent sur Berlin. Ils voient et entendent tout et particulièrement les pensées des hommes — à qui ils restent invisibles —, leurs plaintes les plus intimes, leurs questionnements, leurs quêtes de beauté et d’absolu, la fatigue et l’ennui. Mais le texte porte aussi l’ennui et la fatigue de l’éternité et l’un des deux anges se laisse séduire par la vie et s’incarne pour vivre son amour avec une trapéziste. Marie Ballet nous rappelle les mots d’Albert Camus : « Il vient toujours un temps où il faut choisir entre la contemplation et l’action ».

Le spectacle rend hommage au film de Wim Wenders auquel il reste très fidèle, ce qui est, il faut le dire, une gageure, car on se retrouve souvent à voir sauter quelque part dans notre tête la scène du film (même vu il y a des années), en doublage de ce que l’on voit sur le plateau ! Ce n’est pas un pari gagné d’avance que d’apporter un regard neuf sur un chef d’œuvre, d’autant plus pour une transposition avec les moyens du théâtre d’un film reconnu pour sa photographie, ses grands plans de Berlin, la langueur poétique de ses images, le mouvement de sa caméra…

On retrouve cependant assez bien, outre les personnages principaux et le scénario, une certaine temporalité et musicalité, quelque chose de cette douceur présente dans le film : dans les pensées entendues, prises en charge par les anges ou par la musique, avec un magnifique parlé-chanté comme pour les pensées d’Homère dernier conteur d’une époque qui s’en va. Une atmosphère de clair-obscur et méditative mise en valeur par des ruptures aussi franches que soudaines avec les interventions bruyantes, à l’adresse violente, du personnage de Peter Falk, transformé ici en un clown génial mix de poncifs absolus — celui du musicien inspiré, celui de la célébrité complètement déconnectée de la réalité et celui de l’américain en voyage en Europe — incarné par Stéphane Léchit, qui est le compositeur et musicien de la pièce par ailleurs… Ce détournement irrésistiblement comique des répliques de Peter Falk est une des transpositions les plus remarquables de cette mise en scène. L’essence sympathique du personnage est toujours là, de même que son irruption anecdotique, son charme et son action capitale, mais d’une toute autre façon, ce qui permet aussi d’équilibrer le rythme de la pièce.

Autres écarts bienvenus et réussis : le scénario (un peu trop) résumé et resserré autour des scènes cultes, est greffé d’une scène, en abyme, du tournage du film lui-même, où le public tient le rôle des figurants. Il est aussi recentré vers le personnage de la trapéziste brillamment recréé par Camille Voitelier, avec un cirque décadent qui prend vie, où l’on embrasse passionnément les nuances de la solitude et l’amour profond de la vie. Amour de la vie dans les plaisirs simples et dans une liberté, elle aussi, simple car radicale ; solitude de qui n’arrive ni au calme intérieur ni à la rencontre. Sans jamais abandonner la quête, elle vole sans ailes, même dans la chute et le trivial, elle recherche le chuchotement du vrai, la suspension du temps. C’est pour cela qu’elle est trapéziste (et non pas juste pour être séduisante…, merci Marie Ballet). Si le duo de cirque avec Stéphane Léchit-clown Chico se veut tout en dérision, celui qui a lieu après les feux de la rampe, dans le cocon privé de la nuit, avec ce même partenaire cette fois dans son rôle de musicien est un moment de pure magie : le son flotte dans les airs, pile à la limite entre l’existence et la disparition, pour venir caresser l’acrobate, la nimber de cette aura poétique qui aiguise notre perception et suspend le temps. Un enchaînement tout en délicatesse dans un espace qui semble la soutenir.

La responsabilité qu’est vivre, avec les choix à faire et leurs conséquences palpables et irrémédiables, l’emprise avec la réalité, les sens, c’est ce qui va fasciner l’ange Damiel et lui faire vendre son armure d’immortalité. Cet appel ce n’est pas seulement celui de l’amour mais aussi, dans cette mise en scène, celui de la musique. L’appel du plaisir simple de se sentir vivre, le fameux café et cigarette de Peter Falk et les mains frottées l’une contre l’autre — faisant écho aux images de tout le film où cette valeur inestimable est donnée à sentir —, s’est par contre malheureusement perdu en cours de route. Cette attirance qui gouverne l’ange Damiel et qui est un aspect essentiel pour le différencier de l’ange Cassiel, elle est dite pourtant, mais ça ne prend pas… pas pour moi.

 

© Thomas Cauchard

 

Les Ailes du désir, d’après Wim Wenders, par Marie Ballet, compagnie Oui Aujourd’hui

Scenario original : Wim Wenders, Peter Handke et Richard Reitinger

Adaptation et mise en scène : Marie Ballet

Assistante à la mise en scène : Anne Peri

Musique : Stéphane Léchit

Lumières : Lucie Joliot

Régie générale : Xavier Bernard-Jaoul

 

Avec : Christophe Laparra, Stéphane Léchit, Paul Nguyen, Camille Voitellier

 

Du 24 janvier au 4 février 2019 à 20h00

Le dimanche à 16h, relâche le lundi

 

Durée 2h

 

Théâtre 13-Seine
30 rue du Chevaleret

75013 Paris

Métro Bibliothèque F. Mitterrand

 

Réservation au 01 45 88 62 22

www.theatre13.com

 

 

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