Lectures // Lecture. « Dans la République du bonheur » de Martin Crimp, L’Arche Éditeur

Lecture. « Dans la République du bonheur » de Martin Crimp, L’Arche Éditeur

Mai 19, 2013 | Aucun commentaire sur Lecture. « Dans la République du bonheur » de Martin Crimp, L’Arche Éditeur

ƒƒ Lecture Suzanne Teïbi

Martin Crimp

 

 

 

Glissement vers l’étrangeté

Ce pourrait être un repas de Nöel normal. Les grands-parents, les parents, et les deux enfants. À ceci près que la grand-mère achète des pornos au grand-père, que l’une des deux adolescentes est enceinte, que tout le monde essaie de l’accepter mais ne peut pas s’empêcher d’en parler, et que le grand-père parle de ses érections. Et puis que le statut de la chanson, que Crimp utilisait déjà un peu de cette manière dans Atteintes à sa vie  arrive de manière plus ou moins réaliste, pour finir par étrangement contaminer la pièce.

« Grand-mère. Que se passe-t-il, les filles ?

Debbie. Nous allons chanter pour vous, Grand-mère.

Maman. Chanter ?

Hazel. On voudrait chanter pour vous tous, comme quand on était   petites.

Maman. Eh bien, c’est formidable !

Papa. C’est quelque chose qu’on connaît ?

Debbie. C’est quelque chose qu’on a composé toutes les deux.

   Debbie et Hazel chantent.

 Nous allons épouser un homme

(Oui vraiment épouser un homme)

Et cet homme sera cousu d’or

Et l’homme dira salope encore

Je le ferai payer pour mes repas

Je le baiserai en gardant mes bas

Voilà notre incroyable plan

Oui c’est notre incroyable plan

(…) Oncle Bob. Merveilleux – merveilleux chant les filles. »

Et l’arrivée de l’Oncle Bob vient finir de diffuser son lot d’étrangeté.

Qui est Bob ? Pourquoi sa venue perturbe-t-elle tant la famille ? Et pourquoi son comportement est-il violent et inattendu ? Pourquoi Bob et sa femme Madeleine, qui attend dans la voiture puis qui rejoint la famille, ont tant de haine contre leur famille ?

Cette pièce se compose de trois parties : le repas de famille, avec des personnages identifiés – dont les relations interpersonnelles sont singulières ; une deuxième partie chorale, dans laquelle ce sont les comédiens qui parlent, et plus les personnages, où la choralité de la parole est assumée jusqu’au bout par des tirets pour tout marqueur de parole ; puis un retour aux deux personnages Bob et Madeleine, dont on sait qu’ils cherchent à vivre autrement.

Perte de repères

Avec ce texte, Crimp revient à un théâtre de fable, tout en reprenant son travail choral. Il va plus loin qu’il ne l’a jamais été en terme de grain de sable dans le rouage, en infusant du mystère qui ne sera jamais expliqué.

C’est la force de cet texte, pas de résolution, pas de solution, le lecteur aura jusqu’au bout à établir les liens.

Les rapports entre les membres de cette famille désorientent littéralement. En passant d’une extrême tendresse à une violence soudaine, d’une grande empathie à des liens très distants, les rapports mère-fille, frère-sœur, belles-sœurs sont imprévisibles.

Ainsi, à peine Crimp a-t-il créé des personnages – avec identité, prénom, marqueur de la parole – qu’il les désinvestit aussitôt – pas de stabilité affective, raisonnée, absence de personnalité propre à chacun.

Le lecteur peine à s’y retrouver, mais surtout ne cesse de se demander ce qui est en jeu.

Où sommes-nous ? Que se joue-t-il ? Pourquoi cette folle famille se débat, et avec quoi ?

Manifestement, la recherche du bonheur individuel est au centre de la dramaturgie, et convoque une grande complexité.

Jusqu’au bout, Crimp tient cette étrangeté à bout de bras, le risque étant que le décalage qui lui est propre n’ait pas la fonction habituelle de déplacer le lecteur subtilement, et qu’il le perde très rapidement.

Dans la République du bonheur
Martin Crimp
Traduit de l’anglais par Philippe Djian
92 pages
Paru en français en 2013 – Prix 12,50 euros
Edition de L’Arche

86, rue Bonaparte – 75006 Paris
www.arche-editeur.com

 

Be Sociable, Share!

Répondre

You must be Logged in to post comment.