Lectures // Lecture ・ « Long voyage du jour à la nuit » d’Eugene O’Neill, traduction de Françoise Morvan, l’Arche Éditeur

Lecture ・ « Long voyage du jour à la nuit » d’Eugene O’Neill, traduction de Françoise Morvan, l’Arche Éditeur

Déc 23, 2013 | Aucun commentaire sur Lecture ・ « Long voyage du jour à la nuit » d’Eugene O’Neill, traduction de Françoise Morvan, l’Arche Éditeur

ƒƒ Lecture Dominika Waszkiewicz

O'Neill 2

« … pièce ourdie de vieux chagrin, écrite avec des larmes et du sang. »

À un peu plus de cinquante ans et déjà atteint de la maladie de Parkinson qui l’emportera en 1953, O’Neill écrit ce long poème dramatique à forte propension autobiographique.

Dans une résidence estivale perchée au bord du brouillard de New London, en août 1912, se tissent les subtils réseaux d’un sombre huis-clos familial. Tyrone, le père, est un ancien acteur alcoolique qui a préféré se cantonner dans un rôle sur mesure et lucratif plutôt que de s’engager sur la voie de l’exigence artistique. Sa femme, Mary, irrémédiablement blessée par la mort de leur deuxième enfant, Eugene, est hantée par ses regrets et s’abandonne à la morphine. Les deux fils, Jamie et Edmund, en une imitation désespérée et cynique de leur père, trompent leurs désillusions dans le whisky. Jamie, l’aîné, est un acteur raté courant les auberges et les prostituées. Edmund, double du dramaturge, est un poète quelque peu neurasthénique qui vient de contracter la tuberculose.

De 8 heures et demie du matin jusqu’à minuit, une inquiétante toile se noue, entre insultes, étreintes et évitements, emprisonnant le quatuor dans un cocon glacial d’interdépendance douloureuse.

« Le bégaiement est notre éloquence innée, à nous autres, gens du brouillard. »

Bien plus qu’une pièce exclusivement destinée à la scène, cette tragédie met en place un ésotérique jeu de motifs, entre citations, didascalies polysémiques et répétitions. En douce, comme malgré nous, les quatre actes nous attirent en un labyrinthique palais des glaces où fusionnent la réalité et les apparences, le passé et le présent, la haine et l’amour. L’alcool devient le révélateur des pensées enfouies alors que la morphine entraîne Mary à revivre son passé. Les limites se brouillent et les protagonistes semblent se noyer dans un monde recomposé, peuplé de mises en abymes poétiques (Dowson, Baudelaire, Swinburne, Rossetti, Kipling).

Texte kaléidoscopique derrière son apparence strictement mélodramatique, la pièce se dédouble et se déploie comme un reflet du réel, une tentative de regarder Méduse en face afin de réorganiser l’intolérable chaos du monde.

« Ou le dieu Pan. Tu le vois, tu meurs… »

« Et le monde est amer comme une larme amère. » Swinburne

Finalement, le drame s’étire et les répliques s’allongent pour soulager les personnages. Les mots coulent, comme les larmes, et cicatrisent les plaies dans l’ultime apaisement nocturne suivant la confession. Un exorcisme, en somme, où le verbe se veut salvateur.

Long voyage du jour à la nuit
Eugene O’Neill
Traduction de Françoise Morvan
Suivi de Hughie
Traduction de Louis-Charles Sirjacq

L’ARCHE Éditeur
86, rue Bonaparte
75006 Paris

http://www.arche-editeur.com

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