Lectures // Lecture • « Ciels » de Wajdi Mouawad chez Actes Sud (Babel)

Lecture • « Ciels » de Wajdi Mouawad chez Actes Sud (Babel)

Nov 01, 2012 | Aucun commentaire sur Lecture • « Ciels » de Wajdi Mouawad chez Actes Sud (Babel)

Lecture de Dominika Waszkiewicz

«… Bref, ça parlera de paranoïa, de suspicion, de l’enfance, aussi»

Après Littoral, Incendies et Forêts, Ciels est le quatrième volet du « quatuor » intitulé Le Sang des promesses et cherche sa place dans cette même volonté de raconter l’ineffable douleur face à la mort d’un enfant, d’un fils.

Opération Socrate. Blaise Centier, Dolorosa Haché, Charlie Eliot Johns et Vincent Chef-Chef sont confinés en un lieu indéfini et secret d’où ils interceptent les communications téléphoniques et électroniques afin de prévenir une attaque terroriste. La pièce débute avec l’arrivée de Clément Szymanowski, cryptanalyste venu remplacer son ancien ami, Valéry Masson. Ce dernier « s’est enlevé la vie » quelques jours avant la date prévue pour la fin de la mission. Bien plus que la conséquence d’un état dépressif (assez compréhensible, par ailleurs), cette mort relève plutôt d’une sonnette d’alarme tirée pour concentrer les attentions sur ses découvertes, à moins que cela ne cache autre chose encore…

Une épopée guerrière qui repeuple notre ciel

L’Occident est menacé. Un groupe terroriste international semble vouloir venger la jeunesse sacrifiée sur le bûcher des vanités impérialistes. C’est la vengeance des fils contre les pères, l’intangible quête d’une génération en mal de (re)pères, le cri désespéré de destins brisés.

Comme dans Seuls, la peinture joue un rôle central et ambigu. La clef de l’énigme dort peut-être dans l’Annonciation du Tintoret, quelque part entre la violence intrusive du cortège angélique et la pudeur attaquée de la virginale élue… tout un système de codes poétiques élaborés pour exprimer la violence et rappeler la menace de l’attentat : l’art au service de la destruction ou les dangers de la beauté lorsqu’elle daigne nous visiter.

Enfin, face à cette nuée de jeunesse belle et cruelle dans son idéalisme, se dévoile la réalité crue et aride du cadre spatial où chaque personnage devient un exilé au bord de l’implosion affective, une bombe à retardement en somme. Lieu anti-naturel par excellence où pas même une plante ne survit. Seuls restent les statues et les hommes, isolés, perdus, déconnectés de l’harmonie universelle et spectateurs démunis d’un présent qui leur échappe.

Ciels est une pièce dure et sans consolation qui nous renvoie à l’inévitable solitude au sein du morcellement de l’être.

Encore des W

Szymanowski, après Wilfrid, Nawal, Wahab, Sarwan ou Sawda… Tous des reflets, des avatars plus ou moins directs de Wajdi Mouawad. Mort du fils ou quête d’une renaissance, d’une reconnaissance, par ses pères, par la langue maternelle, Retour du fils prodigue devenu impossible, Ciels porte la conclusion de la tétralogie débutée il y a plus de quinze ans. Cette « sale bête » est la stèle du projet théâtral et épique, le bloc de granit qui vient sceller l’aventure dramatique et poétique du Sang des promesses.

Encore, Wajdi Mouawad emprunte la trompette du héraut et nous transmet un objet protéiforme et insaisissable, un texte autonome qui volète comme la colombe de l’Annonciation et vient se perdre en nous pour déposer son message au plus profond, petite graine de verbe divin.

Ciels
De Wajdi Mouawad
Postface de Charlotte Farcet

Actes Sud
18, rue Séguier
75006 Paris
Tél : 01 55 42 63 00
http://actes-sud.fr
13,20€

Vous pouvez lire aussi la critique de Camille Hazard « Ciels » au Théâtre de l’Odéon, dans une mise en scène de l’auteur

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