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Lecture. « Juste la fin du monde » Jean-Luc Lagarce chez Les Solitaires Intempestifs

Oct 27, 2012 | Aucun commentaire sur Lecture. « Juste la fin du monde » Jean-Luc Lagarce chez Les Solitaires Intempestifs

Lecture Dashiell Donello

Un messager empêché

Les classiques contemporains ont eu la bonne idée de mettre dans leur collection « Juste la fin du monde » de Jean-Luc Lagarce (1957- 1995). Cette pièce entre au répertoire de la Comédie Française en 2007, avec la mise en scène de Michel Raskine (Molière du meilleur spectacle). Elle est aussi inscrite à l’agrégation de lettres classiques et modernes en 2012.

Juste la fin du monde, cette expression, on l’a tous employé un jour de manière plus ou moins moqueuse, pour signifier la non gravité d’un problème : « Ce n’est pas grave, c’est juste la fin du monde ! ».  Jean-Luc Lagarce donne un sens plus grave, à cette formule toute faite ; l’incapacité que l’autre a de comprendre et de sentir l’épreuve que traverse un proche.

Une bonne pièce se résume en quelques phrases. C’est le cas pour Juste la fin du monde. Structurée en deux parties avec un prologue, un intermède et un épilogue. Elle raconte le retour de Louis, dans sa famille, plusieurs années après l’avoir quittée. Il veut annoncer à sa mère, sa sœur Suzanne, son frère Antoine, et Catherine sa belle-sœur, sa mort prochaine et inexorable. La famille l’accable de reproches. Son message est empêché. Il repart sans avoir livré son secret.

Louis revient dans sa famille en messager. C’est troublant ce rôle de messager que donne Jean-Luc Lagarce à son personnage principal qui vient annoncer sa mort prochaine. C’est troublant dans le sens qu’il veut être responsable de lui-même jusqu’à l’extrémité de son libre arbitre. En somme être son propre maître par l’annonce de son message. Une illusion ? Une mainmise sur sa propre mort ?

Le théâtre est un art du présent. Il y a accord entre la situation, l’action et les dialogues. Louis parle de son futur dans le prologue, il parle comme parlerait un Tirésias mythique : « Plus tard, l’année d’après, j’allais mourir à mon tour ».

Jean-Luc Lagarce par l’emploi récurrent de plusieurs temps dans une même phrase semble vouloir en extraire la vérité pure du verbe. Comme pour dire qu’il est retiré du temps et qu’il spécule avec lui. Il nous donne des indices pour entrer dans l’intimité de cette famille. Quand Suzanne, par exemple,  présente Catherine à Louis. Comme cela est compliqué ! Pourquoi une simple présentation est-elle si compliquée ? Est-ce le fonctionnement de la famille qui aurait fait partir Louis ?

Il y a un sentiment de malaise chez Louis qui perdure : « Tu m’a mis mal à l’aise », dit-il à Antoine qui est plus lourdaud que méchant. Il assimile le prénom de son frère Louis au Rois de France. Mais il n’y a pas de bons ou de méchants chez Lagarce. Ce n’est jamais de leur faute puisque personne ne dit rien :

– Catherine : écoute Antoine, écoute, je ne dis rien.

– Antoine : je n’ai rien dit.

– La Mère : Je n’ai rien dit, je racontais à Catherine.

Le non-dit est de rigueur. On ne peut contrarier le retour de l’enfant prodigue. L’écrivain impressionne, même s’il n’envoie que des cartes postales. Louis est souvent en position d’auditeur. Quand il rompt avec le silence c’est souvent par étonnement :

– Et là pour ce petit garçon, comment est-ce que vous avez dit ? L’héritier mâle ?

Cette allusion qui vient de la parole de Catherine sur un héritier mâle (qui se prénomme aussi Louis) dévoile à peine l’homosexualité de louis.

– Catherine : Puisque vous n’aurez pas de fils…

– Antoine : Mais tu restes l’aîné, aucun doute là-dessus.

Car, pour Catherine et Antoine, il faut un héritier qui puisse prolonger la famille. Seule la mère connaît vraiment Louis. Elle a peur de la présence de son fils. Car elle pressent qu’il est là pour annoncer une nouvelle qu’il ne dira pas.

Louis a l’idée étrange, désespérée et indestructible, que sa famille l’aimait déjà vivant comme elle voudrait l’aimer mort, sans savoir et ne jamais pouvoir lui dire. C’est un oubli qui guide la pièce Juste la fin du monde. Un oubli qui donne des regrets. L’oubli de crier. Simplement crier. À la nuit. Crier à la lune. Crier sur des rails où jamais un train ne passera.  Juste la fin d’un monde, celui de Louis.

Juste la fin du monde, Jean-Luc Lagarce

Éditions Les Solitaires Intempestifs
Collection – Les classiques contemporains
1 Rue Gay Lussac
25000 Besançon
http://www.solitairesintempestifs.com

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