Lectures // Lecture • « Visite au père » suivi de « Fin et Commencement » de Roland Schimmelpfennig

Lecture • « Visite au père » suivi de « Fin et Commencement » de Roland Schimmelpfennig

Sep 03, 2013 | Aucun commentaire sur Lecture • « Visite au père » suivi de « Fin et Commencement » de Roland Schimmelpfennig

ƒƒ article Djalila Dechache

En plein hiver neigeux, dans la campagne allemande, une maison, vieille comme le temps, est habitée par Heinrich et Edith, un couple de sexagénaires. Ils y coulent des jours simples, avec parfois des amis ou de la famille.C’est à ce moment-là, que le fils, absent depuis longtemps, fait irruption dans la neige de l’hiver, tel un revenant, un fantôme ou un bonhomme de neige; il rend visite au père, à la famille, à la maison d’avant.

Huit personnages, six femmes, deux hommes, vont se croiser selon une combinaison de jeu de rôle de Fin et de Commencement de monde, en référence à un autre texte de l’auteur. Le père pour qui « le mal est partout », a tiré un trait sur son passé, son passé d’Allemand en exécrant toute sa culture d’avant : « Je suis angliciste, je traduis Milton depuis dix ans, je ne fais plus rien d’autre, j’ai bazardé tout ce que j’avais comme Russes ». Il a posé son dévolu sur un auteur anglais du 17ème siècle, pamphlétaire et auteur de poèmes dont le « Paradise lost » en cours de traduction et qui en dit long sur l’état d’esprit d’Heinrich ; un extrait de ce texte sera utilisé pour l’audition de sa fille qui cherche à faire du théâtre.

Les femmes plus jeunes, il y en a quatre, ne se réalisent pas affectivement ni à travers la mise au monde d’un enfant et les mères, plus âgées, se retranchent dans la lecture des classiques ou dans des rêves-cauchemars incestueux.

visite-au-pere-fin-et-commencement-roland-schimmelpfennig-9782851816856Cette visite va être un véritable déclencheur des pulsions, des frustrations, des désirs et des fantasmes de chacun des personnages. Il y a bien souvent l’écho d’un personnage sur l’autre, ce qui arrive à l’un retentit sur l’autre. Comme le cadeau du fils au père, une chemise américaine de cow-boy qui arrive trop tard : le père est trop gros, trop vieux, elle ne convient pas, alors c’est une des jeunes femmes qui va la porter, ce qui symboliquement signifie déjà beaucoup et se confirmera par la suite.

Dès le premier acte, il est question d’une arme, un fusil qui servira à tuer un canard, bruit qui résonnera ça et là dans le lointain de cette campagne retirée de tout, sans témoins. Et, au moment du final, il retentit encore une fois, dans l’ultime face-à-face père-fils. Il y a comme une danse ou un cérémonial d’évitement du début à la fin entre les deux hommes que tout oppose puisque étrangers l’un à l’autre sans que l’on sache vraiment pourquoi. Le fils, revenu du bout du monde, semble prendre une place qu’il n’a jamais eue, tous jouent à faire semblant d’être une famille, mais il y a dès le départ une musique désaccordée, quelque chose qui cloche. Au cinquième et dernier acte, tout a volé en éclats et en même temps tout semble figé ; seule Isabel dit à Edith, sa mère : « Tu vois quelqu’un au portail …? C’est ce que je disais…. tu  vois …..personne. »

Cette phrase énigmatique peut se comprendre diversement, sur le ton du reproche froid ou celui, plus sûr, qui constate que les êtres ne changent pas ou encore que ce soir-là, personne n’est venu, rien ne s’est passé.

Considéré comme l’un des auteurs dramatiques incontournables, Roland Schimmelpfennig, qui a été dramaturge à la Schaubüne de Berlin, signe une œuvre forte consacrée à son pays l’Allemagne, mais qui pourrait se situer ailleurs. Dans ce texte, l’auteur donne des détails par petites touches, envoie des informations en référence aux camps, à un vieux nazi ou encore au poids de la littérature russe. C’est une construction savante, habile, qui laisse croire que les personnages sont familiers tout en étant étranges. Tout est utilisé par tous dans un tourbillon sans fin. Il fait partie de cette génération–témoin d’auteurs regardant la société d’abrutissement, un monde trop lourd, trop chargé des relents de l’histoire, en pleine décomposition sans que nul ne puisse y changer quelque chose. Qu’il s’agisse de la Berlinoise Anja Hilling (Tristesse animal noir), de l’Italien  Spiro Scimone (La fête et Bar), du Français Laurent Mauvignier (Loin d’eux, Ce que j’appelle oubli) ou encore de la Québécoise Sarah Berthiaume (Yukonstyle), leurs textes ont été mis en scène et programmés récemment dans un théâtre parisien ; tous s’accordent à penser la même chose avec le même constat. C’est inquiétant. Comment continuer à vivre avec tout cela ?

Adrien Béal en 2012 (Compagnie Théâtre Déplié) en a fait une mise en scène assez juste, retraçant dans une quasi-absence de décor et un éclairage en clair-obscur, les nuances et entrelacs des rapports familiaux, ou du moins ce qu’il en reste.

Visite au père est sa deuxième mise en scène d’un texte de Roland Schimmelpfennig, après Une nuit arabe en 2007.

 

« Visite au père » suivi de « Fin et Commencement »
De Roland Schimmelpfennig
Traduit par Hélène Mauler et René Zahnd
L’Arche Éditeur
86, rue Bonaparte
75006 Paris
Téléphone : 01 46 33 46 45
 

 

www.arche-editeur.com

 

 

 

 

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