ƒƒ Lecture Camille Hazard
Ce qui frappe tout d’abord à la lecture de ce livre, c’est l’amour du théâtre qui anime celui qui a pris la plume.
Georges Banu a cette chance fabuleuse de s’être trouvé, tout au long de sa vie, à la croisée de différents courants, de différentes cultures et approches artistiques. Au fil des années, il s’est fait une place de choix dans le paysage théâtral européen: spectateur passionné, assidu et éclairé, critique de théâtre, auteur de nombreux ouvrages fondamentaux sur cet art vivant, Georges Banu est également professeur à la Sorbonne.
Toutes ces années riches en rencontres, en études et réflexions, donnent une nouvelle fois naissance à un ouvrage sur l’Acteur ; son intérieur, son intime, mais aussi les différents types de culture et d’apprentissage qui le traversent selon les pays qu’il habite.
Cartographie mentale du théâtre par ceux qui le fabrique
C’est à travers l’acteur de génie et sa relation aux metteurs en scène, que G. Banu nous entraine dans les palpitations du plateau. Muni par moment d’une longue vue, il nous dévoile les secrets d’une autre culture, d’un apprentissage différent que l’on enseigne en orient, en Russie… Puis l’instant d’après, il dissèque au microscope l’organicité des acteurs, leur engagement personnel et virulent, leur bête noire intérieure. Autant d’observations pour tenter de comprendre la « composition » de l’acteur sublime, de l’acteur brûlant, « incandescent » comme dirait Grotowski. Qu’est ce que la présence ? Comment se manifeste-elle ? Comment certains comédiens arrivent-ils à transcender un texte pendant que la plupart tentent péniblement et simplement d’incarner un personnage? Quelle place tient le don naturel, les années d’apprentissage, les rencontres artistiques … ?
« L’acteur unique est l’affirmation poétique et l’expression d’une conduite. Réunies, les deux le fondent. »
L’acteur « unique » est un acteur insoumis. Insoumission face aux metteurs en scène, au théâtre, à la société de l’art et du spectacle. Cet acteur-là revendique son identité sur scène et l’on regarde parfois vivre sur le plateau un être à deux têtes : celle du personnage et la sienne.
L’acteur insoumis brûle devant nos yeux et laisse derrière lui toutes sortes d’empreintes « identitaires ». Traces présentes pendant le spectacle et qui s’inscrivent en nous de manière indélébile. Le public reçoit de plein fouet une force sacrée, un électrochoc divin.
Au fil des pages, G. Banu n’hésite pas à fouiller les relations entre acteur et metteur en scène, acteur et spectateurs, acteur et personnage. Relations parfois passionnelles, souvent complexes.
L’évolution du jeu d’acteur au fil des siècles, ses conséquences sur la place que tient le théâtre dans notre société, sont abordées ; pour cela, G.Banu s’appuie sur Diderot pour qui le théâtre « est un laboratoire social » ; précurseur de Stanislavski et de Grotowski, il fut le premier intellectuel à remettre en question le jeu frontal des acteurs : « (…) Il faut avoir le courage quelquefois de tourner le dos au spectateur ».
En observateur insatiable, Georges Banu décrypte le fourmillement intérieur des acteurs qui nous éblouissent, leur besoin de représenter une lutte acharnée sur scène, leur énergie jusqu’au-boutiste, l’absence de frontière entre leur vie et leur métier…
Les noms de grands hommes et femmes de théâtre tels Strehler, Grotowski, Peter Stein, Cieslak, Vitez, Chéreau, Gérard Philippe, Claude Régy, Fiona Shaw, Peter Brook …. Et tant d’autres, viennent donner vie aux propos de G. Banu. Nous voyageons au pays du théâtre, aux frontières de l’invisible.
Le livre se referme sur une confession intime de l’auteur. Un regard sans complaisance ni nostalgie sur son amour du théâtre, son rêve passé de devenir acteur, son travail.
Les voyages du comédien
De Georges Banu
Éditions Gallimard
5 rue Gaston Gallimard – 75328 Paris Cedex 07
Éditions Gallimard – 200 pages – 17,90 euros
www.gallimard.fr