Lectures // Lecture • « Ouz, Ore et Ex » de Gabriel Calderón, Actes Sud-Papiers 2013

Lecture • « Ouz, Ore et Ex » de Gabriel Calderón, Actes Sud-Papiers 2013

Juin 18, 2013 | Aucun commentaire sur Lecture • « Ouz, Ore et Ex » de Gabriel Calderón, Actes Sud-Papiers 2013

ƒƒƒ Article Camille Hazard

 ouz ore ex

« Ouz » « Ore et « Ex« , est la première trilogie de Gabriel Calderón,  jeune auteur et metteur en scène uruguayen.

Sous le masque de la comédie, dans laquelle le verbe part aussi loin que les situations rocambolesques, G. Calderón lance un cri sans appel contre la dictature et les crimes commis pas son pays. Sa force: son analyse aiguë des années sombres de guérillas et de dictature sous le régime de Juan María Bordaberry qui plongèrent le pays dans l’effroi mais également, son écriture féroce qui dépasse toutes les frontières.

Bien que les pièces ne se suivent pas et que les personnages diffèrent, on retrouve la même architecture pour les trois œuvres : celle d’une tragédie moderne. Un narrateur-stasimon ouvre les pièces et ponctue les différents épisodes-journées-temps. Le thème récurrent de la filiation et de nos origines annonce à chaque fois une fin tragique qui dépasse les protagonistes, les laissant pantois, tels des fantômes errant dans un « no man’s land ».

On entre aussi facilement dans les intrigues qu’on y sort pour digérer ce que l’on vient de lire. L’écriture a plusieurs tempos. Gabriel Calderón offre aux lecteurs des moments de comédie débridée puis semble nous dire: « Attendez chers lecteurs ! Maintenant que vous êtes repus de distractions, grattez un peu ce qu’il y a sous ces rires… » et, sans lâcher la main du lecteur, il dévoile la réalité tragique qui se cachait derrière les cotillons, les pirouettes verbales, les cascades et les surenchères de rires.

« Bon, un petit peu de sel, les bons ingrédients à petit feu, un goût relevé… De l’amour et du temps consacré à ce repas, un plat, on mélange et on ajoute un peu de poison… » Grace

Ouz

Ouz s’applique à démanteler toute la bêtise et l’absurdité qui entourent parfois la religion, et le fossé existant entre l’image que les hommes laissent paraître d’eux-mêmes et leur vraie nature.

En faisant son ménage, Grace, fervente catholique et bienheureuse épouse, entend la voix de Dieu dans sa cuisine… Afin de s’assurer de son irréductible foi, celui-ci lui demande de tuer l’un de ces deux enfants. Clin d’œil biblique à Abraham devant sacrifier son fils Isaac et à Job, habitant du pays d’Us, qui subit les pires épreuves afin de prouver sa foi.

Dès le début de la pièce, l’absurde côtoie le quotidien de cette famille. La mission meurtrière que doit accomplir Grace va, peu à peu, mettre en lumière la vraie nature des habitants du village, paraissant au premier abord, « idéal », sorte de village « témoin », prêchant la bonne parole.

Grace est celle qui accepte l’infanticide par foi aveugle et irréfléchie mais ceux qui l’entourent, sains, propres, impeccables, vont se révéler aussi monstrueux que le monstre que l’on pointe du doigt.

Gabriel Calderón analyse et dissèque les travers des communautés fermées, des villages repliés sur eux-mêmes et dans lesquels une révélation ou une simple rumeur suffit à détruire le château de cartes qui protégeait l’image et l’honneur de ses habitants.

On rit aux larmes… et pourtant!

« Mon fils et moi, nous sommes en bagarre, c’est une lutte mortelle, définitive, comme toutes les bagarres entre père et fils. » Bernard

Ore

Sur le ton d’une série fleuve fantastico-extravagante, l’auteur utilise et mélange tous les mauvais ingrédients qui peuplent les journaux télé, les feuilletons, les films de série B ! La pièce comprend trois parties: tragédie, comédie et tragi-comédie. Hormis l’histoire d’extraterrestres qui viennent envahir la terre et utiliser nos corps comme enveloppe de chair, G. Calderón crie la difficulté d’être au monde ; un monde dans lequel la dictature déchire les liens du sang au fil des générations.

Comme Wajdi Mouawad, il explore le thème de l’enfance, l’âge où l’on recherche ses origines, l’idée de la faute qui se transmet de père en fils jusqu’à contaminer tout un pays jusqu’au jour où celui-ci doit faire face à ses responsabilités, faire face aux horreurs commises. La faute collective d’une nation et les responsabilités individuelles sont mises à nu sans concession.

Les flashs info qui scandent les différents épisodes, les personnages qui changent de corps pour habiter celui d’une mère ou d’un général, sont autant de moyens pour nous interroger sur « la mise en scène  » de nos vies et la représentation mensongère des images.

« Camarades,

Voici l’histoire de quelqu’un qui ne voulait plus souffrir.

Voici l’histoire d’une personne qui était morte et qui est revenue ou l’histoire de quelqu’un qui avait vécu et qui était mort.

Qui en connait vraiment l’ordre ?  » José

Ex

Ex est l’histoire d’Ana, une jeune fille qui a grandi avec des fêlures, des doutes quant à ses origines, des questions demeurées sans réponses. Un soir, elle organise des retrouvailles, quelque peu forcées, avec les membres de sa famille, morts, pour qu’enfin les mystères se dévoilent, que les langues se délient afin qu’elle puisse se connaître et vivre en paix.

Mais qu’arrive-t-il lorsqu’on force les choses, lorsque le passé ressurgit malgré lui ? Connaître son passé est-il la clé de son bonheur ?

Caldéron met en scène une phrase prononcée par le président uruguayen Mujica qui, parlant de la fin définitive de la dictature dans son pays, disait: « Il faut que crèvent Bordaberry (dictateur au pouvoir de 1972 à 1976), moi, tous les autres protagonistes pour que les choses retrouvent leur juste mesure. » Propos et jugement définitifs sur une situation trop contaminée pour être sauvée.

Ana, s’agite, exige des réponses, force la parole mais rien n’y fait. Elle portera le poids de sa famille tant qu’elle sera en vie. Seul le déclin d’une lignée permet de tourner la page, d’anéantir le mal.

La pièce est un flot continu de paroles, de dialogues de sourds, de supplications pour convaincre. Mais la communication reste la grande absente, rien ne sera dit. Une atmosphère suffocante et angoissante, des mots en crescendo jusqu’au silence final: « Je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime… »

Cette trilogie a été mise en scène cette année, pour la première fois en France, au Théâtre des Quartiers d’Ivry, par son directeur et metteur en scène Adel Hakim (Ouz et Ore) et par Gabriel Calderón lui-même (Ex).

On a l’impression que G. Calderón écrit comme il respire, ses propos sont d’une clairvoyance et d’une profondeur tragiques qui ébranlent le lecteur et le spectateur.

Les personnages de ses pièces prennent vie à travers la satire, la comédie, le pamphlet, la tragédie, la fable, la parodie. Ils traversent les temps, les corps, rencontrent Dieu, des extraterrestres, des morts.

Souvent ridicules, enragés, violents, bêtes, grossiers, naïfs, en manque d’amour, attachants, seuls, ils nous ressemblent tellement !

Ouz, Ore, Ex
De Gabriel Calderón
Traduction Françoise Thanas et Maryse Aubert
Actes Sud-Papiers
18, rue Séguier 75006 Paris
Téléphone 01 55 42 63 00
243 pages, 25.00 €
www.actes-sud.fr

 

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